Philippe Sireuil : Images du texte
Photo © Académie Royale de Belgique
SireuilAcadémieRoyaledeBelgique- par Jacky Croisier

Philippe Sireuil met en scène Le Nozze de Figaro de Mozart à l'Opéra Royal de Wallonie, œuvre qu'il a déjà présentée en 1996 et en 2001. Revenons à cette occasion sur l'homme de théâtre et sur les grands traits d'une œuvre oscillant entre théâtre et opéra.

 

Tournants d'une carrière protéiforme

 

Né à Léopoldville (Kinshasa) en 1952, Philippe Sireuil passe la majeure partie de son enfance en France, à Versailles. Quand il a 15 ans, la famille s'installe à Bruxelles. Élevé dans la tradition française, l'adolescent a du mal à se faire à la Belgique : c'est pour lui, de son propre aveu, un choc. Mais il prend progressivement la mesure d'un pays qu'il apprend de plus en plus à connaître.

 

À 18 ans, éprouvant « un désir de théâtre, ou peut-être seulement de spectacles1» sans véritablement avoir une culture théâtrale, Sireuil s'inscrit à l'Institut National Supérieur des Arts du Spectacle (INSAS) en mise en scène. Ces études sont avant tout un moment de rencontres décisives et fructueuses, avec des pédagogues tels que René Hainaux, Arlette Dupont et Gaston Jung, mais également avec Jean Louvet, qui écrira à sa demande quelques années plus tard L'homme qui avait le soleil dans sa poche. À sa sortie d'études, animé par de fortes aspirations politiques, Sireuil crée en 1977 « Le Théâtre du Crépuscule » qu'il installe dans un vieux cinéma, « Le Rio », à Etterbeek et participe à l'élaboration de ce qui s'appellera le « Jeune Théâtre ». Peu à peu cependant, Sireuil s'affranchit de ces aspirations idéologiques pour mieux se concentrer sur la formation d'un discours poétique, voire métaphysique. Alors qu'il a déjà mis en scène Le Virage de Tankred Dorst et Haute-Autriche de Franz Xaver Kroetz, Sireuil considère que sa première « véritable » mise en scène est L'entraînement du champion avant la course de Michel Deutsch. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'un spectacle « que je mets en scène seul, sans collaboration dramaturgique, en prenant toute ma place et en affirmant mes choix, ce qui n'avait pas été le cas de mes deux projets précédents2». Le geste sireuilien est déterminé par des choix décisifs, où le metteur en scène, s'il travaille en équipe, est porteur et décideur.

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L'homme qui avait le soleil dans ses poches © Danielle Pierre
 

1982 est une année décisive pour Sireuil.  Elle est marquée du sceau de la création d'un lieu théâtral qui aura une influence prépondérante sur son activité artistique jusqu'en 2000 : le Théâtre Varia, qu'il cofonde avec Marcel Deval et Michel Dezoteux. C'est également à cette époque que Sireuil fait une rencontre déterminante dans sa carrière, celle de Jean-Marie Piemme, avec qui il collaborera à quatre reprises. Le Varia sera, de 1982 à 2000, le lieu principal dans lequel Philippe Sireuil présentera ses créations théâtrales. Il y sera même directeur effectif de 1988 à 2000.

 
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L'arrivée du nouveau millénaire marque un tournant dans la carrière de Sireuil. Son départ du Varia inaugure une ère de nomadisme, marquée par des passages dans différentes institutions. Retenons de ces différentes charges la direction de l'Atelier théâtre Jean Vilar de Louvain-la-Neuve ainsi que son statut d'artiste associé au Théâtre National de 2005 à 2010. Depuis 2008, Philippe Sireuil est en compagnonnage avec sa compagnie « Les Servantes » au Théâtre des Martyrs. Se présentant comme « metteur en scène indépendant3», voire, non sans ironie, « metteur en scène SDF4», Sireuil n'a pas freiné le rythme de ses créations. À ses yeux, ce statut lui permet d'avoir une certaine liberté de pensée, faute d'un confort institutionnel. Parmi les spectacles les plus décisifs de sa foisonnante carrière retenons Terrain Vague, L'homme qui avait le soleil dans ses poches, Dans la jungle des villes, Minetti, La mouette, Café des patriotes, Nous les héros, Des couteaux dans les poules, Dialogue d'un chien avec son maître sur la nécessité de mordre ses amis (photo), Le Misanthrope et Shakespeare is Dead, get over it.

 

S'il est avant tout homme de théâtre, Sireuil s'est permis, depuis 1983 avec sa mise en scène de Katia Kabanova à La Monnaie, plusieurs incursions dans l'univers de l'opéra. Ses mises en scène les plus mémorables sont La Bohème à l'Opéra de Lyon, Li Nozze di Figaro, Cosi Fan Tutte et Pélléas et Mélisande à l'Opéra Royal de Wallonie.

 

À côté de ses activités artistiques, le parcours de Sireuil est marqué par un souci constant pour la pédagogie. Il éprouve le désir de transmettre à ses acteurs une manière de jouer qui soit juste et forte, mais pas seulement. Sireuil souhaite avant tout leur insuffler une certaine prise de position éthique et responsable par rapport à l'art théâtral. Si ce désir de transmission se manifeste en répétition, il est également à l'œuvre dans ses nombreuses activités pédagogiques depuis 1980, année où il est nommé chargé de cours à l'INSAS. Depuis, Sireuil a donné des ateliers et des cours au Théâtre National de Strasbourg, au Conservatoire d'Art Dramatique de Genève, à l'École de la Comédie de Saint-Étienne et au Conservatoire de Lausanne. L'école est pour lui cet endroit privilégié, loin des exigences et des pressions professionnelles, où il peut se permettre de se centrer sur le jeu de l'acteur, dans des mises en scène adaptées à l'univers scolaire, délestées pour l'occasion des habituels enjeux scénographiques.

 
 

 
 
1 SIREUIL Philippe, « Histoire(s) belge(s) », propos recueillis par Bernard Debroux et Jean-Marie Piemme in Alternatives Théâtrales, n° 108, Philippe Sireuil, Les coulisses d'un doute, 2011, p. 3.
 
2 Ibid., p. 5.
 
3 Ibid., p. 7.
 
 
4 SIREUIL Philippe, propos recueillis par Nicolas Blanmont in « La prodigieuse clarté de « Pelléas », La Libre Belgique du 12 mars 2007.

 

 

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