Quel rapport entretenez-vous avec le corps au cinéma ? Et peut-être plus précisément le corps féminin, que vous filmez longuement et sans fausse pudeur.
Pour moi, le corps c'est le mystère parfait, le corps de l'autre c'est quelque chose qui est à la fois attirant et opaque, fait d'invitations et de résistances. C'est très mystérieux finalement : pourquoi est-on attiré par tel corps plutôt qu'un autre ? J'ai fait pas mal de castings et j'ai toujours été fasciné par le pouvoir d'expression des corps et des visages. Au début, je posais beaucoup de questions aux personnes qui passaient les castings, pour les mettre à l'aise, mais je me suis rendu ensuite compte que la conversation détruisait le regard et donc la possibilité du cinéma. La parole me semble souvent faire obstacle à une forme de communication dont seul le cinéma peut rendre compte. Quand on impose le silence, très vite le langage du corps, de l'expression, de l'attitude, du regard prend tout son sens.
C'est en quelque sorte une application de la théorie de Bresson selon laquelle les acteurs doivent être avant tout des modèles.
Certainement. Bresson a été un des cinéastes ayant le plus indiqué à quel point il fallait apprendre à regarder le corps et le visage de l'autre. Filmer un visage pendant 2 minutes sans rien dire, c'est toute une aventure qui disparaît si vous demandez au comédien de dire une réplique ; vous rentrez alors dans le théâtre filmé, dans une conversation, dans le jeu d'acteur.


La philosophie dans le boudoir Ravissement
C'est peut-être là que se dessine aussi la frontière entre la photographie et le cinéma, dans cet art du portrait qui est fondamentalement différent que l'image soit filmée ou photographiée.
Bien sûr, une photographie qui montre une personne en gros plan et le même plan, éclairé de la même manière, filmé 30 secondes, ce sont deux univers tout à fait différents. Un film, c'est regarder vivre quelqu'un.
Comme dans Seuls2, en quelque sorte.
C'est vrai que Seuls est construit sur cette idée de départ : puisque ces enfants ne parlent pas, comment va-t-on essayer d'établir une communication ou, plus modestement, de rapporter ce qu'ils disent ? Par le langage des corps. Car à ce niveau là ils sont très performants.
On a parlé de vous en tant que cinéaste, mais vous êtes également auteur de plusieurs essais sur la littérature et le cinéma. Quelle relation existe entre ces deux formes d'art selon vous ?
Souvent, je considère que dans les interviews comme celle-ci, quand je dois parler de mes films, j'ai de la difficulté à structurer ma pensée. Écrire me permet prendre le temps de la précision. Je pense que je n'explique quasi jamais mes films. Par contre, j'évoque volontiers les questions que je me suis posées en cours de travail et la manière dont j'ai tenté d'y répondre. Il ne s'agit pas d'expliquer mais de penser à voix haute, dans l'idée que ces réflexions seront peut-être partagées par des lecteurs. Chemin faisant, j'écris en réalité sur beaucoup d'autres choses que le cinéma. C'est d'ailleurs un des atouts des films : ils finissent toujours par nous conduire là où on veut aller : vers les insectes, les paysages, les tableaux, les femmes, la poésie, les musiques, les morts, les pierres, les arbres...
Bastien Martin
Novembre 2011

Bastien Martin est diplômé de l'ULg, Master en Arts du spectacle, finalité cinéma. Il débute une recherche doctorale consacrée au cinéma.
2 Co-réalisé avec Thierry Knauff, le film est une série de portraits d'enfants en institution psychiatrique.
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