
Hubert Selby Jr, Last Exit to Brooklyn (10-18)
Traduction de J. Colza
Étant actuellement en post-doc à l'Université de New York, je ne peux m'empêcher de recommander trois ouvrages américains qui ne datent pas d'hier mais qui prennent à nouveau tout leur sens à l'heure où la classe moyenne américaine craint toujours de perdre son job ou sa maison. Cette Amérique qui doute, on la retrouve dans les personnages de Fante, Toole ou Selby qui nous dressent le portrait des perdants du rêve américain. Qu'il s'agisse d'un père de famille prêt à craquer en Californie, d'un illuminé incapable de trouver sa place dans le monde du travail à la Nouvelle-orléans ou d'ouvriers déclassés en perdition à New York, ces trois auteurs dressent – dans des styles très différents – le portrait d'une autre Amérique qu'Hollywood omet souvent de nous montrer. (Jean-Michel Lafleur)

Shane Stevens, Au-delà du mal (Sonatine)
Traduction de Clément Baude
En l'occurrence, le parfait livre estival, à lire sur une plage de sable chaud ou entre deux barbecues (bien saignants). J'ai découvert l'ouvrage au Centre Steeman (la bibliothèque des paralittératures à Beaufays). Le roman, américain, date de 1979, mais n'a été traduit que dernièrement en français. Ce long délai étonne, car il s'agit visiblement d'un classique absolu du genre (le récit de serial-killer), très connu et reconnu outre-Atlantique. Cela commence très vite (p. 9 !) avec un jeune enfant qui contemple un ballet de flammes ronger le corps de sa victime. Cela ne ralentit pas vraiment par la suite... Un récit évidemment haletant qui, partant du portrait d'un criminel halluciné, décrit une Amérique hallucinante. On ne sait pas grand-chose de Shane Stevens (une petite poignée de romans au long des années 70), mais il apparaît très clairement qu'il a été une influence majeure pour toute une génération d'écrivains américains qui ont fait de la description documentée, froide, détachée et clinique du mal l'un des enjeux majeurs de leur littérature (à commencer bien sûr par Thomas Harris et James Ellroy). C'est simple, rapide et long, comme une autoroute la nuit (bien noire la nuit). (Dick Tomasovic)

Sheri S. Tepper, The Companions (HarperCollins et EOS)
(en anglais)
Le roman de science fiction de Sheri Tepper, dont le titre, The Companions, sonne comme une réponse aux derniers travaux de la philosophe américaine Donna Haraway (mais pour rester dans le domaine de la science fiction, on pourrait aussi penser à certains des livres de Ursula Leguin). Le roman raconte, dans un lointain futur, le long périple d'une jeune femme, Jewell, décidée à trouver, pour les animaux bannis d'une terre aseptisée et aux ressources détruites, une planète qui puisse les accueillir. Une ode à la vie, à l'amour et à la sensibilité à toutes les formes du vivant.
J'accompagnerais cette lecture d'une autre, non romanesque quant à elle : David Abram The spell of the sensuous. Je ne sais laquelle de ces trois lectures a eu cet étrange effet (Sheri Tepper, Donna Haraway, David Abram ?) : j'entends les merles chanter comme je ne les ai jamais entendus auparavant. Et c'est bien. (Vinciane Despret)

John Kennedy Toole, La conjuration des imbéciles (10-18)
Traduction de Jean-Pierre Carasso
Dans la catégorie « fous-rires en cascade », rien de tel que la désormais classique Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Le roman a pour protagoniste un certain Ignatius J. Reilly, habitant des bas quartiers de la Nouvelle-Orléans et véritable Tanguy de l'Amérique profonde vivant aux crochets de sa vieille mère décrépite et alcoolique. Esclave hypocondriaque d'un anneau pylorique qui se referme au gré des agressions du monde extérieur, Ignatius n'entend quitter sa chambre qu'en cas d'impérieuse nécessité. Fervent adepte de la littérature médiévale, il s'engage, entre deux pets et trois rots, dans une croisade contre la société moderne et ses déviances, gribouillant compulsivement sur ses cahiers « Big Chief » une œuvre magistrale condamnée à l'incompréhension de ses contemporains dégénérés. Suite à un accident de voiture causé par sa mère et à l'endettement qui s'ensuit, le malheureux est contraint d'aller travailler. Le récit relate, comme autant d'épreuves épico-burlesques, les expériences infructueuses d'Ignatius dans le monde réel. John Kennedy Toole, natif de la Nouvelle-Orléans, juxtapose à la dimension humoristique de son roman un portrait au vitriol de la société sudiste du début des années soixante, sondant ses mythes autant que son folklore à travers les figures du beatnik, du vendeur de hot-dog, de la strip-teaseuse, etc. Véritable ovni littéraire, La Conjuration des imbéciles n'en est pas moins un produit typiquement américain, à savoir un roman de haute tenue accessible à un très large public. Son statut d'œuvre posthume d'un écrivain maudit participe de son mythe. (Sarah Sindaco)
(Recommandé aussi par Jean-Michel Lafleur)