Le Nickelodéon a 20 ans

Le ciné-club Nickelodéon, rendez-vous bien connu des cinéphiles liégeois, fête son vingtième anniversaire. Une occasion de revenir sur cette incroyable aventure avec Marc-Emmanuel Mélon, professeur d’histoire du cinéma et animateur du ciné-club depuis sa création, ainsi qu’avec quelques étudiants qui y ont collaboré.

logo Nick« Le Nickelodéon a connu sa première projection le 18 novembre 1993 » se souvient Marc-Emmanuel Mélon. « C’était une initiative d’un petit groupe d’étudiants, à l’époque en première licence cinéma, qui sont aujourd’hui toujours actifs dans le cinéma : les frères Bronckart, Jean-François Tefnin, Anne-Françoise Lesuisse, etc. À l’époque, j’étais assistant. Sans aucune concertation avec le corps professoral, ils sont venus me trouver. Je réfléchissais à créer un Musée du cinéma à Liège, mais le projet stagnait pour diverses raisons. L’idée de créer une structure de projection me semblait arriver au bon moment, proposer une sorte de petit musée avant l’heure. »

NickelodéonCôte à côte, Marc-Emmanuel Mélon et les étudiants se lancent dans de longues réunions, parlent des films qu’ils aiment ou rêvent de voir, voient forcément les choses en grand. La réalité les rattrape vite : beaucoup de films sont indisponibles, les problèmes de droits sont récurrents et le catalogue de la décentralisation de la Cinémathèque royale de Belgique est réduit à 200 films, la plupart au format 16 mm. « C’était ça, la situation en 1993, les films étaient difficilement visibles : il n’y avait, par exemple, aucun film noir disponible ! Cela paraît irréel à l’ère du dvd, mais c’est la vérité. » La Cinémathèque pratique des prix très intéressants, et une série de distributeurs possèdent encore les droits de certains films plus récents, notamment Cinélibre. Dans le même temps, la cabine de projection de la salle Gothot est restaurée, les projecteurs qui datent des années 60 sont désormais pourvus de lanterne au xénon, mais il manque toujours un projectionniste. « Nous sommes donc allés chercher le mari de la secrétaire du département, Jean-Luc Swinnen, qui avait travaillé au centre culturel du Sart Tilman dans les années 70-80 et qui avait des connaissances de base en projection. Nous essayions de le défrayer un minimum, et c’est un point sur lequel nous avons toujours été d’accord : le projectionniste étant la seule fonction réellement vitale et professionnelle au sein du ciné-club, nous devions pouvoir donner une petite rémunération à celui qui tenait ce poste. »

Les années 90 : des débuts audacieux et professionnels

Dès la première projection, le Nickelodéon se veut un ciné-club ambitieux, proposant des films certes en 16 mm mais avec une fréquence de projection hebdomadaire, à savoir tous les jeudis. « Et on s’y tenait ! » confirme M.-E. Mélon. Les séances s’enchaînent mais ne se ressemblent pas : des classiques mais aussi des cartes blanches à diverses cinémathèques (Bruxelles, Paris, Amsterdam), des rencontres (André Delvaux, Boris Lehmann, entre autres), des films des premiers temps invisibles jusqu’à alors, et surtout des séances uniques. « La première fois qu’on a rempli la salle Gothot, c’est lors d’une séance spéciale Méliès, quand Marie-Hélène (la cousine de Madeleine, la petite-fille de Georges Méliès) est venue avec son fils pianiste pour présenter toute la séance. Cela faisait 25 ans que Liège n’avait plus projeté de films de Méliès ! Autre succès notable : les séances de Lanterne Magique, animées à l’ancienne, en costumes avec accompagnement d’un orchestre… C’était un spectacle unique. »

Du côté de l’équipe, une autogestion prend rapidement forme, et un système simple mais efficace est adopté : les anciens forment les jeunes, et le roulement s’effectue en douceur. L’étudiant projectionniste responsable de la fonction forme celui qui va le relayer et un troisième observe. Le système est étendu à toutes les fonctions du ciné-club : la comptabilité, la promotion… « Le ciné-club est devenu une véritable école : les étudiants étaient confrontés à de multiples problèmes professionnels, de la projection à l’entretien des films, mais aussi apprendre à travailler avec les distributeurs, négocier avec eux, prendre la parole en public, entre autres. Certains anciens étudiants ont réellement été formés par le Nickelodéon, et en ont tiré profit dans leur vie professionnelle. »

Les étudiants rencontrent occasionnellement des difficultés : « Je me souviens de Salo, de Pasolini, que UIP voulait nous louer pour 15 000 francs à l’époque, ce qui était énorme ! Le prix des copies était un problème, mais leur qualité aussi : le 16 mm posait souvent des difficultés à la projection, on a d’ailleurs dû annuler l’une ou l’autre séance car on ne pouvait lancer le film. Et quand ça marchait, la copie était parfois simplement immonde. Je me souviens de Muriel, d’Alain Resnais, dont la bande-son était inaudible : les seules personnes à être restées à la séance sont celles qui pouvaient lire les sous-titres en néerlandais ! »

Lassé, le Nickelodéon passe alors au 35mm, la Cinémathèque ayant conscience des problèmes liés au 16mm. « C’étaient d’autres difficultés, car nous ne pouvions utiliser un dérouleur1, mais nos projectionnistes se sont adaptés à merveille et la qualité était au rendez-vous. » Le succès du Nickelodéon ne se dément pas au cours des années 90 : « Je me souviens d’une rétrospective de Fassbinder : tandis que celle de la Cinémathèque était un semi-échec à Bruxelles, les salles étant souvent vides, les nôtres fonctionnaient assez bien : pour Maman Kusters s’en va au ciel, nous avons fait 120 entrées. »

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1 Un film étant composé de plusieurs bobines, un dérouleur est ce qui permet de coller les différentes parties entre elles ; en l’absence de dérouleur, les bobines doivent être permutées directement au sein de la cabine de projection, le plus souvent via un second projecteur. 

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