La cuisine à l’Époque Moderne

La cuisine classique française qui se met en place au 17e siècle est la cuisine dont nous sommes les héritiers directs.

Le 17e siècle sonne véritablement le glas de notre bonne vieille cuisine médiévale. Rappelons que cette cuisine se caractérise par :

  1. L’usage fréquent et massif d’une large gamme d’épices exotiques ;
  2. L’usage fréquent et tous azimuts du sucre.

Nous avons vu que les cuisiniers de la fin de la Renaissance ont établi une distinction nette entre le sucré et le non sucré. C’est l’absence ou la présence de sucre qui conditionne désormais l’usage des autres aromates.

La VarenneNous sommes maintenant au 17e siècle et nous voyons que les cuisiniers français vont encore plus loin. Ils éliminent les sauces sucrées – avec les condiments qui les accompagnent – et étendent cette exclusion à presque tout leur répertoire culinaire. C’est ainsi que le sucre et la cannelle disparaissent de la cuisine pour être expédiés vers le dessert. Le gingembre et le safran sont en voie de disparition, tandis que les aromates associés aux sauces non sucrées, à savoir les herbes, le citron, les câpres et le sel, prennent définitivement le pouvoir. Enfin, les épices dites « neutres », le poivre, la noix de muscade et le clou de girofle, s’imposent comme les principales épices de la cuisine.

C’est un véritable désaveu vis-à-vis des épices exotiques qui ont perdu tout l’attrait qu’elles avaient au Moyen Âge. Le bon goût impose désormais un usage parcimonieux des épices, tout comme des condiments acides dont on raffolait auparavant. Les saveurs plus discrètes et grasses s’imposent avec l’usage de plus en plus fréquent du beurre et de la crème qui contrebalancent les vins, vinaigres, verjus et autres jus d’agrumes.

Le cuisinier françois (1651) de La Varenne symbolise à lui seul le renouveau de la gastronomie française

Dès lors, si les épices tendent à disparaître, ou à se faire plus discrètes comme le clou de girofle qui ne sert presque plus qu’à piquer les oignons, on peut se demander ce qui va donner du goût aux différentes préparations. La réponse nous est donnée d’emblée dans Le cuisinier françois de La Varenne. Publié en 1651, ce livre essentiel dans l’histoire de la gastronomie symbolise le renouveau de la cuisine française et sera réédité plus ou moins cinquante fois. Il s’ouvre sur une recette fondamentale, à savoir « La manière de faire le Boüillon pour la nourriture et tous les pots ». C’est inédit ! Le livre de recettes commence par le détail du fond de cuisine qui servira à la confection de tous les potages et les sauces, en gras ou en maigre. Le bouillon en gras étant à base de viande, et celui en maigre, à base de poisson, d’herbes ou d’amandes. Parmi les fonds, les roux font une apparition fracassante en cuisine. Ils tendent à remplacer la liaison au pain qui a dominé tout au long du Moyen Âge. Au 17e siècle, on les appelle « farine frite ». Les émulsions chaudes et les sauces montées au beurre se développent considérablement. Citons par exemple les asperges à la sauce au beurre émulsionnée au jaune d’œuf. Bref, aux épices exotiques se substituent les fonds de cuisine, les réductions de divers jus.

Délices de la campagneAvec le rejet des épices exotiques, se développe ce qu’on pourrait appeler un retour au « terroir », un retour au « naturel ». C’est un grand principe de la nouvelle cuisine. L’intérêt pour les progrès de l’horticulture, résurgence antique ravivée par la Renaissance italienne, se traduit par l’éclosion d’une nouvelle littérature mettant à l’honneur les produits du jardin. Les Délices de la campagne de Nicolas de Bonnefons, publié en 1654, en est probablement le meilleur exemple. L’auteur s’y propose de « faire gouster de tout ce qui se recueille en la Campagne ». Ce qui importe, c’est la simplicité et le retour au goût véritable des aliments, point de vue que nous avons déjà rencontré chez le Grec Archéstrate, au 4e siècle avant Jésus-Christ, et qui sera répété à l’envi jusqu’à la nouvelle cuisine des années 1970.

Nicolas de Bonnefons, Les délices de la campagne, 1654.

Les légumes, honnis de la cuisine médiévale et promus à la Renaissance, prennent littéralement d’assaut les tables aristocratiques. Les artichauts, les asperges, les truffes, les champignons, les petits pois et les choux-fleurs sortent du lot, tout comme le haricot d’Amérique qui remplace l’antique faséole européen. Venus également d’Amérique, les topinambours, appelés artichauts d’Inde, créent la surprise. Les citrouilles d’Outre-Atlantique expulsent les européennes gourdes et calebasses. Au 18e siècle, elles se cuisinent essentiellement sous forme de soupe au lait. Toujours dans le chapitre américain, le piment se répand en Méditerranée, mais ne progresse pas encore vers le Nord. L’aubergine asiatique connaît le même destin. Quant aux tomates et aux pommes de terre, elles se trouvent encore dans le purgatoire de la gastronomie. Il faut attendre la fin du 18e siècle pour voir apparaître dans les livres de cuisine les premières sauces tomate, ainsi que les premières recettes à base de pommes de terre qui, jusque-là, sont dévolues au peuple, et aux cochons !


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