Ce jeudi 8 novembre, le Nickelodeon poursuit sa saison audacieuse avec le dernier film en date de Picha, Blanche-Neige, la suite, qui prouve que le cinéma belge d’animation n’a rien à envier aux productions hollywoodiennes. Retour sur un artiste peu commun et son cinéma cul-te.
Jean-Paul Walravens est né en 1942 à Bruxelles, mais c’est sous son surnom de caricaturiste et dessinateur de presse qu’il se fera connaître : Picha officie en effet dans les années 60 à la Libre Belgique, les journaux satiriques Pan et Hara-Kiri voire occasionnellement le célèbre New York Times. Après un passage éclair en télévision et en BD, Picha décide de se lancer dans le cinéma d’animation dès le début des années 70. Ce n’est pas un hasard : alors que le dessin animé Fritz the Cat de Ralph Bakshi (1972) chamboule la censure avec sa débauche de sexe et de drogues, la Belgique vient de connaître une décennie de « cinéma provoc1 » et une vague de films érotiques aux succès aléatoires mais souvent présents2. Conscient du filon, Picha oriente donc son premier film, Tarzoon : la honte de la jungle (1975) vers la parodie sexo-trash du roman de E.R. Burroughs. C’est un pari audacieux : créé en Belgique mais finalisé aux USA, Tarzoon est à l’époque le film d’animation le plus cher de l’histoire du cinéma belge. Le succès sera au rendez-vous, et Picha d’être propulsé immédiatement sous les projecteurs, ceux de la gloire mais aussi ceux des tribunaux, les héritiers de Burroughs portant évidemment plainte.
Son film suivant, Le chaînon manquant (1979) est sans doute le plus abouti sur le plan formel : graphisme soigné, références cinématographiques nombreuses, le film divise toutefois le public par son humour mal dosé, entre cynisme et grand guignol. Le fait est que Picha entreprend avec ce film son analyse de la société moderne et ses travers, qu’il poursuit avec Le Big Bang (1986) qui sera un échec cuisant. Lancé en pleine tension militaire mais distribué en pleine Détente, le troisième film de Picha rate son parallèle violent avec la Guerre Froide et la montée du féminisme, où les Américains et Russes ont cédé la place aux Hommes et Femmes. Après ces déboires, Picha se voit contraint de partir vers la télévision, où une seconde carrière l’attend : les micro-séries animées ZooCup et ZooOlympics et surtout la série Les Jules seront de véritables succès auprès des enfants, public que Picha n’avait évidemment pas encore essayé de toucher. En 2007, le voici qui surfe sur la vague des Shrek et autres films iconoclastes en proposant (après 25 ans de réflexion néanmoins) sa relecture du classique de Disney : Blanche-Neige, la suite. Le succès sera très mitigé, l’humour ne faisant plus nécessairement mouche auprès d’un public habitué désormais à l’humour grivois sous toutes ses formes.
À film atypique, réalisateur unique

Le sexe comme arme idéologique
Le credo du cinéma de Picha pourrait se résumer de la façon suivante : tout ce qui peut être critiqué doit l’être avec virulence. On reconnaît facilement l’influence de la revue Hara Kiri quand, au détour d’un plan dans Tarzoon, on croise un Tintin au Congo en train de maltraiter physiquement des enfants noirs à coup de croix catholique. C’est la politique conquérante de l’Homme qui est mis à mal dans Le chaînon manquant, et le féminisme n’est (vraiment) pas épargné dans le Big Bang où la reine des Femmes n’est autre qu’une walkyrie digne de Wagner et qui aurait trop grignoté. Et puisque le cinéma de Picha est celui de l’excès, quoi de plus normal que d’y retrouver la thématique du sexe sans tabou ?
Le cinéma de Picha repose en effet majoritairement sur la frustration : Shame ne sait pas bander dans Tarzoon, Oh ne trouve pas de femme dans le Chaînon manquant, le Big Bang représente la guerre des sexes à son paroxysme tandis que le Prince de Blanche-Neige, la suite passe tout le récit à essayer d’utiliser ses bijoux de famille. L’évocation de Tex Avery quelques lignes plus haut n’est pas fortuite : les deux cinéastes partagent ce goût de la pulsion sexuelle comme moteur du récit et l’allusion sexuelle ne doit pas être subtile mais bel et bien visible à l’écran. C’est pour cette raison que les méchants de Tarzoon sont des phallus géants et que la Reine du Big Bang n’hésite pas à se servir de ses énormes seins comme obus, littéralement.
Il est important de bien maîtriser tous ces aspects car Blanche-Neige, la suite se situe à un niveau forcément différent, 20 ans après le Big Bang ; exit le côté racoleur de sexes pandouillant et de seins à l’air (ça il y en a toujours ceci dit), Picha s’est désormais concentré sur la faiblesse de ses premiers films : le scénario. Là où Tarzoon, Chaînon manquant et Big Bang ressemblaient davantage à des successions de sketches qu’à de vrais films, Blanche-Neige, la suite se déroule en un seul et cohérent récit, où le visuel trash cède la place à quelques allusions certes mais surtout à des dialogues ciselés à l’art du double sens5. Et si la veine satirique est toujours présente (les Nains, symboles disneyiens s’il en est6, devenus de véritables requins de la finance exploitant une main-d’œuvre sous-payée), c’est toujours dans ce refus de rentrer dans le rang que Picha s’illustre, en rejetant toute animation numérique majoritaire (type Pixar ou Dreamworks) pour un dessin « à l’ancienne » mais très soigné. À 65 ans, Picha n’avait donc toujours pas atteint l’âge de la raison. Et c’est tant mieux.
Bastien Martin
Octobre 2012

Au Nickelodéon le 8 novembre
1Je renvoie ici au texte de Grégory Lacroix « La mouvance provoc' du cinéma en Belgique (1963-1975) », consultable sur http://www.cadrage.net/dossier/cinemabelge.htm2Pour plus de détails, se reporter aux fiches présentes dans Marianne THYS (coordonné par), Le Cinéma belge, Bruxelles, Cinémathèque royale de Belgique, Ludion/Flammarion, 1999.
3Les studios Belvision et leurs adaptations d’Astérix, Schtroumpfs et Lucky Luke, et TVA-Dupuis pour la télévision.
4Ainsi était nommé un « collectif » de cinéastes de l’ex-Yougoslavie qui, s’écartant du style Disney, optait pour une modernité de trait et d’esprit hors de tout anthropomorphisme réducteur.
5Blanche-Neige, croyant encore que les bébés se font en s’embrassant, s’exclamant au Prince, timide : « Je suppose que vous allez glisser votre chose entre mes lèvres… »