Des femmes, des contes et des frères

Existe-t-il une sexuation des contes, une gendérisation effective?

blanche-neigeDivers éléments ressortent d'une sexuation active. Deux des trois objets donnés par la vieille à la jeune épouse pour sauver son époux dans L'ondine du lac sont à connotation féminine, un peigne pour lisser les longs cheveux, puis un rouet pour filer ; deux des trois objets déposés discrètement par Peau-de-mille-bêtes dans la soupe du roi sont connotés féminins, un petit rouet d'or et un dévidoir d'or ; les moyens utilisés par la belle-mère de Blanche-Neige pour la tuer sont des artifices féminins (corselet, peigne à cheveux). Blanche-Rose a une paire de ciseaux dans la poche, les deux sœurs filent près de la cheminée, leur mère fait de la couture et achète fils, aiguilles, dentelles et rubans. Cendrillon s'occupe du feu, fait la cuisine, la lessive et les travaux domestiques. Dans Dame Holle, la fille courageuse s'occupe de la maison, file du matin au soir et, une fois chez Dame Holle, aide, fait le lit et secoue l'édredon. Demoiselle Méline, la princesse et sa femme de chambre trouvent du travail en cuisine. La Belle au Bois Dormant se pique au fuseau d'une vieille qui file du lin et une bonne plume une poule. Dans La gardeuse d'oies près de la fontaine, la vieille et la jeune fille filent à leur rouet et la vieille fait le ménage. La petite sœur de La nixe ou la dame des eaux doit filer et porter l'eau. La jeune fille du Fuseau, la navette et l'aiguille file, tisse et coud. Les deux jeunes filles des Petits nœuds filent. La mère de Tom Pouce file au coin du feu. Les trois fileuses filent le lin pour la future princesse. La sœur des Six frères cygnes doit leur coudre des petites chemises en fleurs.

(Alors que les objets livrés au fils du marchand dans Le roi de la Montagne d'or sont à connotation masculine, une épée, une cape d'invisibilité, une paire de bottes, un baton, un manteau qui rend invisible, un cheval.)

Les femmes s'occupent de la cuisine chez les particuliers, et en famille, Le jeune géant, Le pauvre et le riche, Le maître-voleur, Les lutins, Cendrillon, Le diable et sa grand-mère (et même la pâtée du chien dans Le vieux Sultan). Mais le cuisinier des châteaux (le professionnel) est un homme : La Belle au Bois Dormant ; Demoiselle Méline, la princesse ; Blanche-Neige ; Les six compagnons qui viennent à bout de tout ; Les trois feuilles du serpent ; (seules les aides et les petites mains peuvent être des femmes, une bonne plume le poulet dans La Belle au Bois Dormant, la jeune princesse trouve une place d'aide-cuisinière dans Le poêle en fonte ; Demoiselle Méline la princesse et sa femme de chambre trouvent une place d'aides et de souillon à la cuisine du château ; Peau-de-mille-bêtes est envoyée comme aide à la cuisine pour balayer, trier les cendres, porter l'eau et le bois, entretenir le feu, éplucher les légumes et plumer la volaille).

tailleurDe même, les femmes filent et cousent en privé mais les tailleurs sont des hommes, Le vaillant petit tailleur, Les deux compagnons en tournée, Le cercueil de verre, Les présents des gnomes, Les six compagnons qui viennent à bout de tout (seule la jeune orpheline dans Le fuseau, la navette et l'aiguille file, tisse et coud pour gagner sa vie).

Les femmes intriguent, les filles se montrent efficaces

Nombre de femmes sont les instigatrices du drame, elles intriguent, harcèlent, dirigent, ordonnent, organisent leurs intérêts personnels (qui peuvent éventuellement passer par celui de leurs enfants) : la belle-mère de Blanche-Neige ordonne à un chasseur de tuer Blanche-Neige ; la mère de Hansel et Gretel pousse le père à abandonner ses enfants ; la vieille cuisinière envoie les 3 valets à la poursuite de Dénichet et Madelon ; la femme du pêcheur toujours plus ambitieuse le pousse à demander de plus en plus à la barbue dans Du pêcheur et sa femme ; dans Le conte du genévrier, la femme amène son mari à manger son fils sans le savoir ; dans Le pauvre et le riche, la femme du riche, intéressée, renvoie son mari à la poursuite du visiteur qu'ils avaient rejeté ; la belle-mère de Cendrillon pousse ses filles à mentir et tricher ; la laide fiancée au cœur dur utilise Demoiselle Méline la princesse pour séduire le prince le jour des noces; dans Dieu nourrit les malheureux, la sœur sans cœur refuse le pain à sa sœur et ses neveux affamés ; la marâtre poursuit Frérot et sœurette jusqu'à substituer sa fille à Sœurette ;  la marâtre arrive à ce que le roi épouse la mariée noire  dans La noire et la blanche épousée ; la grand-mère du diable le trompe pour aider des hommes dans Le diable et sa grand-mère.

Les filles sont débrouillardes souvent plus que les garçons pour trouver une solution : Demoiselle Méline la princesse,  Dénichet, Hansel et Gretel, Frérot et sœurette, La fauvette-qui-saute-et-qui-chante, La nixe ou la dame des eaux, Le conte du genévrier, L'ondine de l'étang, Les douze frères, Les six frères cygnes, Les sept corbeaux ; Peau-de-mille-bêtes ; et elles prennent l'initiative, la jeune fille du Cercueil de verre explique comment la délivrer et embrasse le jeune tailleur qu'elle promet d'épouser ; la princesse du Corbeau, explique au jeune homme comment la délivrer et l'embrasse en disant qu'ils se marieront le lendemain ; la princesse de La boule de cristal explique ce qui lui est arrivé et comment l'en délivrer.

Dans les fratries mixtes d'enfants exposés ce sont souvent les filles qui libèrent les enfants du mal et des sortilèges : Gretel pousse et enferme la sorcière dans le four, Hansel et Gretel ; Madelon noie la méchante cuisinière dans l'eau de l'étang, Dénichet ; Marlène ramasse et enterre les os de son frère au pied du genévrier dans Le conte du genévrier ; la libération vient de sœurette qui n'a jamais laissé son frère transformé en chevreuil, Frérot et sœurette ; la jeune sœur des Six frères cygnes se tait pendant six ans et confectionne les six chemises demandées qui rendront forme humaine à ses frères ; la jeune sœur des douze frères accepte de se taire au risque de sa vie pendant sept ans ; leur petite sœur part seule chercher ses frères dans la montagne, Les sept corbeaux.

Les épreuves elles-mêmes sont sexuées. Aux garçons, la bravoure, la visibilité, l'extraordinaire, le sensationnel. Aux filles, l'abnégation, le silence, la discrétion, le quotidien. Les épreuves des hommes sont imposées généralement par d'autres hommes ; les épreuves des femmes relèvent généralement de sortilèges.

L'image des filles et des femmes est bien loin des préjugés de femmes soumises et dominées et de jeunes filles innocentes, naïves et pures. Les femmes des contes sont multiples, et très proches de la réalité, même actuelle. Fortes, fragiles, faibles, intéressées, calculatrices, stratégiques, généreuses, amoureuses, obéissantes, révoltées, innovantes, créatrices, pratiques, méchantes, jalouses, envieuses, sorcières, tendres, douces, maternelles, égoïstes, volontaires, etc. pourtant ce n'est pas l'image que le sens commun propage des filles et des femmes dans les contes les classant dans trois cases bien distinctes, celle des mauvaises, les sorcières, celles des gentilles belles innocentes, les princesses, et celle des aidantes indispensables à l'éclat final, les fées.

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