Des femmes, des contes et des frères

Le prince (pas si) charmant

frogPorte ouverte sur le rêve et assurance du bonheur. C'est la fin des contes racontés aux enfants. Mais aujourd'hui principalement c'est la fin des contes racontés aux petites filles, sélection première pour former les envies et les buts dans la vie : exploit et vaillance pour les petits garçons, mariage et bonheur dans le même packaging pour les petites filles. Imprégnation à leur insu de la fonction socioculturelle féminine que la société veulent leur faire intégrer. De telle sorte qu'elles le souhaitent, le désirent de tout leur cœur, grandissent avec cette envie de plus en plus présente et pressante qui devient une évidence personnelle et collective, souhait qui comblera leur cœur, fruit de leurs rêves voire nécessité, obligation ou obsession de toute leur vie. Pour être une femme heureuse et comblée, il faut se marier.

Et pour se marier, il faut que la jeune fille trouve un Prince Charmant. Hétérosexuation d'époque, devenue normative. Le conte est à la fois l'instigateur et le nourricier ; le conte sème le germe, propose le modèle et une fois cela accompli, il permet aux petites filles de trouver satisfaction à leur désir en se plongeant dans d'autres contes, les contes alimentent la soif du bonheur. Sans cesse. La boucle est bouclée, les petites filles bientôt plus grandes gardent l'espoir de rencontrer un jour ce Prince Charmant qui leur assurera le bonheur en leur donnant accès au rêve proposé dans ces contes. Jusqu'au moment où, bien plus âgées, ces contes seront manière de s'évader d'une réalité bien éloignée de ce bonheur parfait tant attendu.

Pourtant, ils ne sont pas nécessairement Charmants ces princes et autres amants. Non seulement beaucoup d'entre eux tombent amoureux de la beauté des jeunes filles et pas des jeunes filles – les moins belles et les laides (La gardeuse d'oie  près de la fontaine, le jeune comte pense que même avec trente de moins, une petite amie comme ça ne toucherait pas cœur) parce que hors normes sont délaissées – (sauf si, s'en référant à la morphopsychologie, cette beauté recherchée par les princes signifie que la jeune fille est d'un cœur pur, innocente et vierge ; mais que faire alors des jeunes filles telles les demi-sœurs de Cendrillon qui "sont  jolies et blanches de visage, mais laides et noires de cœur?"), mais encore l'un s'éprend de la beauté figée d'une morte Blanche-Neige ; un autre de la représentation d'une jeune fille sur un tableau (La noire et la blanche épousée) ; le prince chez Cendrillon ne voit pas que les jeunes filles se sont mutilées pour entrer dans la pantoufle d'or ; le roi fait kidnapper la jeune princesse qu'il aime, et par Fernand-Loyal (Fernand-Loyal et Fernand-Déloyal ) qui pleure et se lamente devant l'épreuve ; l'époux royal de Sœurette (Frérot et Sœurette) ne voit pas qu'on a échangé sa jeune épouse à peine accouchée ; dans La vraie fiancée, le prince ne reconnaît pas sa fiancée et va épouser une autre fille ; les princes dont le père est gravement malade se lamentaient (L'eau de vie) ; le père de son amoureuse ayant refusé sa demande en mariage, le prince qui aimait Méline accepte sans plus d'épouser la fiancée choisie par son père et ne reconnaît pas sa bien-aimée en face de lui (Demoiselle Méline la princesse) ; le roi ne voit pas qu'une femme autre que son épouse est couchée dans le lit royal (Frérot et sœurette) ; le prince ne réalise pas que c'est une autre que son épouse qu'il va épouser (La fauvette-qui-saute-et-qui-chante) ; François se sert de la fille du roi pour se venger de son père (La lumière bleue) ; aveuglé, le roi accepte d'épouser la méchante jeune fille à la place de celle qu'il aime (La noire et la blanche épousée) ;  Hans accepte d'épouser Élise "à condition qu'elle soit vraiment intelligente" (La sage Élise) ; le roi tombe amoureux d'une jeune fille sur un tableau et la fait kidnapper, et parce qu'il ne comprend pas l'attitude de son cher valet, il le met en prison et le condamne à la potence (Le fidèle Jean) ; le prince croyant morte la fiancée qui l'avait délivré va épouser une autre fille (Le poêle en fonte) ; le roi finit par croire les dires selon lesquels son épouse est une ogresse et la laisse condamner au bûcher (L'enfant de la bonne vierge) ; le roi prête foi aux diffamations de sa mère sur son épouse et la condamne à mort (Les douze frères) ; le roi écoutant les diffamations faites par sa mère sur sa belle épouse condamne son aimée au bûcher (Les six frères cygnes) ; le roi ne se rend pas compte qu'on a échangé son épouse dans le lit royal (Les trois petits hommes de la forêt) ; Le tambour oublie sa fiancée et va en épouser une autre.

Attitudes et comportements peu engageants, dont on ne peut se vanter, loin du courage, de la bravoure, de l'amour passionné qu'on pourrait attendre. Les princes charmants sont faillibles. Mais eux ne sont jamais responsables : les hommes trompent leurs femmes parce qu'ils sont trompés par des femmes, ce sont des victimes. Les femmes trompent les hommes parce qu'elles sont mauvaises. Les femmes font confiance à leur époux ou fiancé, les hommes font confiance à leur mère ! Les hommes règlent les conflits avec leur femme par le bûcher, les femmes par la patience et l'obstination. Qui est le sexe fort ? Ce qui n'empêche ni les amoureux, ni les fiancés, ni les mariages.

Mais l'important ne réside pas uniquement dans le fait de se marier, encore faut-il que le mariage soit grandiose, magnifique, et le plus visible possible, par le public le plus nombreux, rite incontournable pour une vie à deux, non indispensable dans nombre de sociétés actuelles, mais quand même... et le déplacement de ce rite dans les diverses étapes de la vie n'en diminue pas la valeur, même si le sens a parfois changé, le mariage des contes fait rêver, au point d'être une référence cérémonielle, de nombreux sites et organisateurs de mariages proposent les contes comme thème de mariage, qui peuvent être spécifiés. Blanche-Neige "leurs noces furent célébrées avec magnificence et splendeur" ;  La Belle au Bois Dormant "Le mariage du prince et de la Belle au Bois Dormant fut célébré avec un faste exceptionnel." ; La fauvette-qui-saute-et-qui-chante "...leurs noces furent célébrées en grande joie et magnificence." ; L'eau de vie "Les noces furent célébrées en grande pompe.." ; Les douze frères "Là furent célébrées les noces avec autant de pompe que de joie..." ; Les trois cheveux d'or du diable "...on fit des noces splendides..." ; Les trois petits hommes de la forêt "...on célébra la noce en grande pompe..." ; Le petit âne "on donna un magnifique banquet de noces".  

Tant de petites filles ont été bercées et élevées avec ces mots d'encouragement et de rêves. Tant de petites filles ont appris à rêver, à désirer, et à attendre le Prince Charmant que l'on trouve dans les contes. Tant de grandes filles ont eu un mariage de rêve, et un rêve brisé bien avant la fin de leur vie. La faute au Prince Charmant qui les a abandonnées après quelques années de vie à deux qui, parfois, n'étaient pas particulièrement heureuses. La faute au prince qui, peu à peu, a quitté ses atours de Charmant. Après tout, dans les contes on rencontre beaucoup d'hommes faibles, soupçonneux, influençables.

Ils vécurent heureux... et eurent beaucoup d'enfants

Ce happy-end des contes qui détermine l'ordre des choses, le choix et les rêves des petites filles pour le mariage et qui revient dans les discours notamment féministes comme la plus grande tromperie sur le bonheur ne provient pas des contes de Grimm. C'est une invention tardive dont la source reste floue. Dans les contes de Grimm, il y a peu d'enfants. Pas d'enfant dans Du pêcheur et sa femme, ni pour le cordonnier dans Les lutins I, ni pour la servante dans Les lutins II, ni pour le vieux meunier dans Le pauvre garçon meunier et la petite chatte ; Blanche-Neige est fille unique, comme Peau-de-mille-bêtes, comme la fillette dans Dame Trude, comme Demoiselle Méline la princesse, unique comme Fernand Loyal, comme Le tambour, unique comme Jean le chanceux, unique comme La jeune fille sans mains, uniques comme Jorinde et Joringel, comme La gardeuses d'oies, comme La Belle au Bois Dormant, comme La fiancée du petit lapin, comme La sage Élise, comme la jeune fille dans Le fiancé voleur, comme le prince dans Le fidèle Jean, comme la jeune orpheline dans Le fuseau, la navette et l'aiguille, comme Le Jeune géant, comme Le maître-voleur, comme Le petit âne, comme Le petit Chaperon rouge, comme la princesse dans Le poêle en fonte, comme le petit-fils dans Le vieux grand-père et son petit fils, comme L'enfant de la bonne vierge, comme le fils dans L'envie de voyager, comme la petite orpheline dans Les ducats tombés du ciel, comme l'enfant échangé dans Les lutins III, comme le fils dans Les trois cheveux d'or du diable, comme la fille unique du roi dans L'oiseau griffon, comme le fils du meunier dans L'ondine de l'étang, comme le fils du roi dans Jean de Fer, comme Raiponce, comme Tom Pouce, comme le jeune homme dans Le chasseur accompli, comme la fille du roi dans Le chasseur accompli.

Blanche-Rose et Rose-Rouge sont deux, comme les sœurs dans Dame Holle, comme Dénichet et Madelon, comme les sœurs dans Dieu nourrit les malheureux, comme Frérot et sœurette, comme Hansel et Gretel, comme les enfants dans La nixe ou la dame des eaux, comme La noire et la blanche épousée, comme les fils de La pauvre vieille mère, comme le jeune garçon et sa petite sœur Marlène dans Le conte du genévrier, comme les deux fils dans Histoire de celui qui s'en alla apprendre la peur, comme Les enfants couleur d'or, comme les demi-sœurs dans Les trois petits hommes de la forêt, comme les frères dans L'os chanteur, comme Les deux frères jumeaux, comme les enfants du marchand dans Le roi de la Montagne d'or

6fTrois chez Cendrillon et ses deux sœurs, comme les sœurs dans La fauvette-qui-saute-et-qui-danse ; comme les princesses dans La gardeuse d'oies près de la fontaine, comme les sœurs princesses dans Le tambour, comme les fils de la magicienne dans La boule de cristal, comme les fils dans La reine des abeilles, comme les princes dans L'eau de vie, comme les princes dans Les trois plumes, comme les fils dans L'oie d'or, comme les fils du paysan dans L'oiseau griffon, comme les sœurs dans Unœil, Deuxyeux et Troisyeux , comme les fils du roi dans L'oiseau d'or.

Sept comme les frères et sœur dans Les six frères cygnes ; huit comme les frères et sœur dans Les sept corbeaux ; douze pour les princesses dans Les souliers usés au bal ; treize comme les enfants du père dans La mort marraine,  comme les frères et sœur dans Les douze frères ; et plusieurs princesses dans Le roi Grenouille et Henri de Fer, plusieurs frères dans L'homme à la peau d'ours.

Ceci concerne directement les acteurs des contes, on est bien loin des familles nombreuses comme modèles ou référents.

Et en ce qui concerne leurs enfants, ceux qui devraient être dans les mots "eurent beaucoup d'enfants", dans Le roi de la Montagne d'or, le fils du marchand et sa femme ont un fils ; Blanche-Rose et Rose-Rouge ont des enfants ; dans Dieu nourrit les malheureux, la sœur qui est veuve a cinq enfants ; Fernand Loyal a un fils ; dans Frérot et sœurette,  le roi et sa femme sœurette ont un fils ; la reine dans Rumpelstiltskin a un fils ; La jeune fille sans mains devenue reine et le roi ont un fils ; dans Le fidèle Jean, le roi et la reine ont des fils jumeaux ; dans L'enfant de la bonne Vierge, la reine et le roi ont trois enfants ; dans Les trois petits hommes de la forêt, le roi et la reine ont un fils ; Raiponce et son prince ont des jumeaux. Pas de "ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants" en fin du conte, et peu d'enfants en fin de ces compte.

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