Des femmes, des contes et des frères

Grimm revu par Walt Disney

Les princesses sont éloignées du monde actuel, loin de mai 68, loin des revendications, du travail, des sous à gagner, montrant les filles sous un angle éthéré, fragile, infantile, irréel et irrationnel, alors que les garçons sont dans la pratique, la violence, le concret. Le set princesse résoud les problèmes à la baguette des fées.  Mais ces princesses auxquelles petites filles et jeunes femmes veulent ressembler, sont toute innocence, infantilité, superficialité, alliant simultanément l'arc-en-ciel des Bisounours et le Prince Charmant des bonbons Prince. Leurs modèles sont Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle au Bois Dormant (Aurore), Belle, Jasmine, Raiponce, Arielle et même Tiana (l'ethnicisation de Pocahontas et Mulan les éloignent du type homogène des précédentes). C'est-à-dire non pas les princesses des contes de Grimm mais des héroïnes de Walt Disney, produits des représentations idéalisées des stéréotypes féminins américains. Bien loin des contes réels qui ont pu les inspirer. Bien loin des contes auxquels on fait référence pour parler de rêve et de prince Charmant. Bien loin des vrais contes de Grimm. Dont les princesses évoluent au milieu de la violence, de la cruauté, de la misère sociale et mentale, de la jalousie et des châtiments durs. Grimm revu par Walt Disney. Qui s'est installé en spécialiste des contes et des princesses. Nombre de livres sont réécrits et illustrés à partir des dessins de Disney et non avec les anciennes illustrations. Il y a des séries dédiées exclusivement aux princesses de Disney, des CD regroupant les chansons des films dont les chansons d'amour, Un jour mon Prince viendra, Les rêves d'amour, Mon amour je t'ai vu au milieu des rêves, etc., des forums princesses Disney, des tops 10 et 20 personnalisés des tenues des princesses Disney, des plus beaux couples Disney, etc. Et Disney, en association avec Alfredo Angelo a lancé la collection Disney Bridal qui propose des robes de mariées issues des contes de fées, ainsi la robe Cendrillon (scintillante), la robe Blanche-Neige, La Belle au Bois Dormant, Ariel (avec une coupe sirène), Jasmine, Belle, Tiana et Raiponce, chaque robe représente le caractère de la jeune héroïne du conte et le modèle s'inspire de son histoire et de ses vêtements dans le dessin animé.

sofiaPrincesse Sofia prend la relève et prépare les toutes petites filles à ces rêves, famille recomposée dans l'autre sens, c'est la maman de Sofia (marchande de chaussures) qui épouse le roi qui a deux enfants, par ce mariage, la petite fille garçon manqué au comportement pragmatique devient une princesse  ; elle doit changer de garde-robes, les robes de princesse deviennent ses vêtements habituels, elle suit ses cours à l'école des princes et des princesses, les cours sont donnés par les trois fées marraines de Aurore (école du courage, respect de soi, pardon, gentillesse, générosité), et elle reçoit régulièrement la visite de ses aînées, Cendrillon, Jasmine. Sofia prépare les princesses de demain, "ressembler à une princesse n'est pas si difficile, mais se comporter comme l’une d’entre elles doit venir du cœur".

Quatre princesses des contes et légendes des frères Grimm ont été mises en scène par les studios Disney, Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle au Bois Dormant (Aurore) et Raiponce. Ces quatre jeunes filles qui font rêver les petites filles ont toutes rencontré le Prince Charmant dans des conditions fort différentes. Mais toutes par hasard. Ce qui renforce encore le rêve et l'espoir des petites filles en chair et en os, "Un jour mon prince viendra" et "Les rêves d'amour" sont de Walt Disney, pas de Grimm. Mais les princes et les princesses se marient aussi dans leur classe sociale,  – il n'y a pas de bergère pour épouser un prince chez Grimm (il y en a une chez Perrault, Griselidis)–, la mobilité et l'élévation sociales ne se font pas de cette manière, les princes épousent autant les princesses que les roturières. Sous des aspects parfois très humbles ou très pauvres, certaines jeunes filles épousées (toujours captivantes par leur beauté) sont en réalité des princesses chassées (La gardienne d'oies près de la fontaine), asservies (Demoiselle Méline la princesse), tenues par un sortilège (Les six frères cygnes). Et les princesses épousent aussi des roturiers, plus souvent dans les contes que dans la réalité semble-t-il. Le courage, la ruse, la détermination définissent la virilité attendue et remplacent judicieusement le noble titre, alors que les jeunes filles ne se suffisent pas à elles-mêmes quelles que soient leurs qualités, elles sont avant tout princesses, riches et habitent dans un château. LA robe à elle seule ne suffit pas pour s'assurer le mariage de rêve et le bonheur qui va avec. Les jeunes filles des contes se battent avec la vie, en douceur ou en force, avec le sourire ou sans, patientes, bonnes, mauvaises, dynamiques, envieuses, généreuses, égoïstes, jalouses, serviables, intelligentes, simples, elles travaillent, elles bougent, elles souffrent, elles gagnent, ce sont des femmes fortes, courageuses, jusqu'au boutistes, jamais elles ne sont passives, jamais elles ne sont larmoyantes, jamais elles ne se laissent dominer par les hommes, au contraire, elles les secouent, les accompagnent, les poussent, leur tiennent tête, les aident, et arrivent avec eux à ce bonheur vers lequel nous tendons tous. Les contes sont actuels, plus que jamais.

La boucle est bouclée quant à la sexuation des contes tournée vers le sexe féminin quand la maman de Blanche-Rose et Rose-Rouge s'assied près de la cheminée avec ses filles, met ses lunettes et commence un conte tandis que ses petites filles l'écoutent en filant. L'histoire continue...

Chris Paulis
Novembre 2013

crayongris2Chris Paulis est docteur en anthropologie de la communication. Ses cours et ses recherches à l'Université de Liège concernent principalement communication et genre,  interculturalité et  sexualité.    

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