Neil Young’s Greendale : Du «roman audio» au roman graphique

En 2003, Neil Young sort  Greendale avec son groupe Crazy Horse, un album-concept que certains acclameront, le comparant à The Wall  de Pink Floyd ou à  Tommy des Who, par exemple. Cependant, d’autres le qualifieront de diatribe éco-hippie plutôt déconcertante. Il n’en reste pas moins que le projet  Greendale  est une des œuvres les plus abouties de la carrière de Neil Young. Beaucoup s’accordent en effet à dire que ce « concept album » de Neil Young a ouvert la voie à un genre nouveau, celui de «roman audio», dont la complexité et la profondeur émotionnelle ne sont pas sans rappeler les classiques d’auteurs américains tels que John Steinbeck et Sherwood Anderson.

Greendale est avant tout un opéra rock composé de 10 chansons qui sera ensuite adapté en CD, en tournée, en film – dirigé par Neil Young lui-même sous le pseudonyme de Bernard Shakey – dont la version DVD propose un livret contenant les paroles des chansons et des informations sur les personnages, et enfin en comédie musicale off-Broadway. Il n’est donc pas surprenant que Young ait décidé de décliner son œuvre une nouvelle fois, sous forme de roman graphique. Pour ce faire, il choisit l’éditeur Vertigo, une filiale de DC Comics spécialisée notamment dans la publication de bandes dessinées fantastiques destinées à un public adulte. Vertigo pense immédiatement à Joshua Dysart pour ce travail d’adaptation, car ce dernier partage la même sensibilité et les mêmes convictions politiques que Neil Young. De plus, Dysart connaît et apprécie la musique du chanteur et guitariste canadien. Neil Young suivra de près le travail d’adaptation et participera au processus d’écriture du scénario du roman graphique. Les deux artistes travaillent en étroite collaboration sur le récit, se téléphonent et se voient régulièrement.

Le choix du dessinateur prendra plus de temps, mais une fois que Young découvre le travail de Cliff Chiang, il le contacte personnellement et se dit prêt à attendre le temps qu’il faudra pour pouvoir collaborer avec lui sur ce projet. Chiang a déjà travaillé pour Vertigo et DC. Ses talents d’illustrateur ont d’ailleurs animé les pages de Human Target, Wonder Woman, et de Green Arrow/Black Canary. En outre, on peut découvrir sur son site web  des mashups de couvertures de vinyles des années 1980 – des illustrations aux allures de détournement, voire de parodie, qui mélangent adroitement l’univers pop, funk, et rock de cette période avec celui des superhéros. Chiang s’inspire, par exemple, de l’univers «gothico-glamour» de la couverture du célèbre Purple Rain de Prince en substituant ce dernier par le personnage de Batgirl. Avec Greendale, l’illustrateur américain renoue donc avec l’expérience d’adaptation et est amené à ré-explorer les rapports entre musique et arts graphiques.

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Loin d’être une répétition  des formes précédentes de Greendale, le roman graphique publié par Vertigo en 2010 est une fable moderne américaine teintée d’éléments de réalisme magique inspirés, raconte Dysart1, des riffs aériens, presque poétiques, de guitare solo de Young.

greendaleTout comme l’opéra rock, le livre raconte l’histoire de Sun Green et celle de sa famille installée dans une petite ville fictive du nord de la Californie, Greendale. Dès le début de l’ouvrage, le lecteur découvre une Sun tourmentée par des rêves qu’elle ne comprend pas et qui la poursuivent. Au fil de l’histoire et de ses rencontres avec les différents personnages (ses parents, grands-parents, son grand-oncle, son cousin Jed, l’officier Carmichael, l’Étranger/le Bandit, et Earth), l’adolescente évolue tout en restant confinée dans le petit univers de sa ville, Greendale, mais aussi celui de sa famille. Sun se voit, par exemple, contrainte de combattre « l’Étranger » qui arrive en ville et perturbe la tranquillité de Greendale et de sa famille. D’autre part, elle comprend peu à peu cette connexion particulière à la Nature dont elle et d’autres femmes de la famille Green ont hérité. Cette symbiose avec la Nature renforce d’ailleurs l’image du chaos qui règne autour d’elle, à la fois dans sa famille et dans le monde.

En effet, le récit a en toile de fond l’invasion de l’Iraq, l’omniprésence des médias, la crise économique et écologique, la nostalgie d’une Amérique perdue, le rôle de la famille, le pouvoir de la jeunesse – des thèmes récurrents dans l’œuvre de Neil Young qui a toujours considéré et utilisé sa musique comme un instrument de changement social ou de protestation politique, à l’instar de John Lennon ou de Bob Dylan à qui il fait d’ailleurs allusion dans les chansons de Greendale. Mais le livre va au delà de la protestation contre l’administration Bush. L’histoire du roman graphique est un conte moderne plein d’espoir et d’humanisme, incarnés par la personne de Sun Green, cette jeune fille qui se cherche et essaie de donner du sens au monde qui l’entoure. Lorsque, à la fin du livre, Sun devient une activiste politique et environnementale, elle accuse le gouvernement de manquer d’imagination et, de ce fait, d’être responsable d’un système corrompu. Sun décide alors de mener sa propre guerre, une guerre spirituelle visant à changer les choses chez elle, dans sa ville, et dans son propre pays. En parallèle, elle vit aussi une véritable guerre intérieure – symbolisée par son «duel» avec l’Étranger – pour trouver sa place en tant que femme au sein de la famille Green. Ce combat qu’elle livre se situe donc sur deux fronts, à la fois métaphorique et littéral.

 


 

1 Lorah, Michael C. « Review: Neil Young’s Greendale », Blog Newsarama. Newsarama. 9 juin 2010. Web.  Consulté le 22 août 2013.

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