Romans de passage, combats épiques, intégration du merveilleux...

Fotolia 73279248 XSDans la littérature pour la jeunesse, le Moyen Âge est un thème inépuisable et indémodable. On ne compte plus les romans, albums, documentaires dans lesquels un héros accomplit des exploits dans un décor qui ressemble de près ou de loin aux descriptions du paysage médiéval traditionnel. Pourquoi le Moyen Âge et son imaginaire fascinent-t-ils encore autant les enfants ? Quels sont les fondements littéraires sur lesquels se base cet imaginaire ? Quelle est la place désormais accordée aux filles dans ces récits d’aventures où jadis elles ne tenaient que des rôles secondaires ? Ce sont quelques-unes des questions qui se posent lorsque l’on se penche d’un peu plus près sur un imaginaire qui ne cesse de se transmettre depuis près de 10 siècles…  Pour en savoir un peu plus, nous avons interrogé deux des spécialistes de la question à l’ULg, Daniel Delbrassine, chercheur en littérature de jeunesse, et Nadine Henrard, spécialiste de la littérature du Moyen Âge. Depuis quelques années maintenant, ils collaborent lors de directions de mémoires portant sur les croisements entre la littérature pour la jeunesse et le Moyen Âge.

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Le Moyen Âge est un pays

« La redécouverte du Moyen Âge date du 19e siècle, nous explique Nadine Henrard, à une époque où la noblesse, qui avait été coupée de ses racines par la Révolution française, a décidé de renouer avec un passé qui s’est finalement trouvé idéalisé. Le Moyen Âge revient alors en force en littérature (Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, Quentin Durward de Walter Scott, Robin Hood le proscrit de Dumas), en musique, notamment dans les opéras de Wagner (Tristan und Isolde, Parzifal, Der Ring des Nibelungen) ou en architecture (avec les restaurations de Viollet-le-Duc)… L’image que l’on a aujourd’hui de cette période est en partie conditionnée par ce que l'imaginaire du 19e siècle en a fait. On a alors jeté les bases d’un Moyen Âge fictionnel et fantasmé, en  mettant l’accent sur les aspects exotiques et dépaysants de ces temps révolus, qui sont une source  de rêverie mais dont on gomme parfois les aspérités. »

BoulaireCet univers fantasmé est d’ailleurs un des piliers du travail de recherche mené par Cécile Boulaire dans le cadre de sa thèse de doctorat qui porte sur le Moyen Âge. Dans cet excellent ouvrage intitulé Le Moyen Âge dans la littérature pour enfants, paru en 2002, l’auteure a analysé près de 600 fictions pour enfants parues entre 1945 et 1999, chiffre qui permet déjà de constater que c’est un sujet  sur-représenté dans le domaine. Parmi ces fictions, on retrouve des albums, des romans qui inscrivent leur récit dans un Moyen Âge fictionnel.

Pour Cécile Boulaire, le Moyen Âge dans la fiction pour enfants serait une sorte de cadre temporel et géographique indéfini. Pour elle : « On ne voyage pas pour retrouver le même horizon mais justement pour être « dépaysé », le Moyen Âge est d’abord un paysage que l’on peut embrasser du regard. L’image du panorama est un leitmotiv de cette littérature. … Finalement, le Moyen Âge n’a que trois lieux : la Ville, le Château et la forêt. D’un roman à l’autre, seuls les noms changent, on ne se perd finalement jamais en Moyen Âge ».  Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que cette époque stéréotype se révèle être un excellent cadre pour des fictions puisque le décor est déjà planté et les personnages sont déjà établis. En effet, dans tous les récits liés au Moyen Âge, les lecteurs peuvent assez rapidement distinguer qui est qui, et ce, grâce à une typologie extrêmement simple. On trouve le bon seigneur/ un père idéal, le mauvais seigneur/ le sénéchal félon, les paysans et artisans, la catégorie des médecins alchimistes ou sorciers et enfin quelques types intemporels : les roux, les gros et les lépreux. Sur cette base, il apparaît assez clairement au lecteur que la société est basée sur une dichotomie entre bons et méchants, l’apparence du personnage étant généralement le meilleur indice pour classer le personnage d’un côté ou de l’autre. Et même si la plupart des récits relatent une quête d’identité (en tout cas les récits inspirés des légendes arthuriennes), le lecteur attentif ne pourra échapper aux indices qui montrent que ce petit héros si gracieux possède, et ce dès les premières pages, un cœur noble qu’il aura bientôt fait de découvrir lui-même.

 

Pourquoi le Moyen Âge fascine-t-il autant les enfants ?

La plupart des récits du Moyen Âge d’invention que l’on peut trouver depuis 1945 ne sont centrés que sur leur héros-chevalier. « Le héros est souvent un chevalier, ou un chevalier en devenir, ou il espère le devenir, mérite de le devenir... Une seule aventure pour 600 récits » constate Cécile Boulaire. Elle explique cette récurrence par le fait que la contrainte thématique (le Moyen Âge) et la contrainte de public cible (la jeunesse) sont non seulement parfaitement compatibles mais également génératrices d’une infinité de récits. « Le récit moyenâgeux pour la jeunesse est à mon sens le parangon indépassable du "roman d’enfance" ».

Fotolia 17970752 XSIl semblerait néanmoins qu’il faille ouvrir une parenthèse ici puisque, comme l’évoque Nadine Henrard : « On reconnaît que le cycle arthurien séduit beaucoup les enfants : les romans de passage, l’intégration du merveilleux, la quête, … Mais à côté de ça, il y a encore toute la matière médiévale liée aux fabliaux et aux épopées qui a également été au cœur de certains récits pour la jeunesse. Au 19e siècle, par exemple, la tendance était plutôt à l’adaptation de récits épiques (Les Quatre fils Aymon ou encore la Chanson de Roland) parce que ces héros défendaient des valeurs très présentes dans la société de cette époque comme la grandeur d’une nation ou encore la défense de la religion… »

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Néanmoins, à l’heure actuelle, la grande majorité des récits destinés à la jeunesse sont des récits de passage et ceux liés au Moyen Âge ne font pas exception. Ils relatent le passage de l’enfance à l’adolescence, de la dépendance à la maturité, de l'impuissance à la liberté. Comme les contes, qui sont une forme déguisée des difficultés rencontrées par l’enfant au cours des différentes étapes de sa vie, le récit de fiction médiéval se veut être un récit dans lequel l’enfant va directement s’identifier au héros. « Chaque étape à surmonter par le héros s’apparentera à une angoisse que l’enfant laissera derrière lui et finalement chaque épreuve qui sera imposée au garçon voulant devenir chevalier pourra se lire comme la version moyenâgeuse des étapes que le jeune lecteur devra franchir pour évoquer la découverte de lui-même, la construction de son identité et enfin devenir un homme accompli. » précise Cécile Boulaire dans son ouvrage.  

De plus, les spécialistes s’accordent également à dire qu’une autre raison peut expliquer cet attrait pour le Moyen Âge, c’est la diversité des déclinaisons des héros médiévaux dans le quotidien. Nadine Henrard propose sa lecture : « Je pense que les conditions extérieures poussent également l’enfant à s’intéresser à la question. Tout autour de lui, l’enfant va trouver des indices d’un monde lié au Moyen Âge. Les costumes proposés pour le carnaval, les Lego/Duplo chevaliers, les fêtes médiévales, l’épée d’Arthur et le manège de Lancelot à Eurodisney… Tout concorde pour proposer à l’enfant une offre très étendue de déclinaisons d’un même thème. » Et finalement, bien avant de savoir lire, le petit garçon est déjà pleinement imprégné de cet univers.

 

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