Quelques rares privilégiés auront pu en juger, en assistant à la projection spéciale qui ouvrait à Annecy le festival de renom qui s’y tient chaque année. Pour les autres, il faudra bien se résoudre à patienter jusqu’à la sortie officielle, prévue pour septembre prochain, en se délectant des quelques extraits disponibles sur la toile. Outre l’univers savoureux et délectable que l’on sent déjà poindre, cet extrait trahit tous les jeux et les enjeux sur lesquels repose déjà l’immersion attendue du spectateur.
Le projet présente un intérêt stratégique certain, du fait de ses possibilités transmédiatiques : exploitable sous la forme d’un site Internet, d’un jeu vidéo et, accessoirement, d’un film, il affiche tous les meilleurs atouts d’un objet marketing qui sait susciter l’attente fervente tout en créant des passerelles infinies. Ce faisant, il permet de se départir d’une difficulté majeure dans l’histoire de la promotion des images en relief ; comment rendre compte d’un effet de surgissement ou de saisissement sur la surface désespérément plate du support publicitaire traditionnel ? Quelles alternatives à l’artifice d’un cadre entourant l’objet supposé assaillir le spectateur ? Le magasin des suicides utilise à cette fin tous les outils qui lui sont offerts afin de restituer le mouvement nécessaire au sentiment de profondeur ajoutée.
Le site Internet mis à la disposition du spectateur impatient ne fait rien d’autre que jouer avec cet effet de parallaxe, simulant un déplacement du point de vue en même temps qu’un rapport inconstant entre les objets. Par le défilement latéral (le parallax scrolling) ou la pénétration dans la profondeur, l’interface du site fait pleinement ressentir la présence de calques flottants, apparaissant et disparaissant par les bords du cadre dessiné par l’écran domestique : une corde (de pendu) à tirer pour dérouler verticalement les étages d’animation, une molette (de souris) à faire rouler du bout du doigt pour un semblant d’interactivité. Il s’agit là d’une technique de représentation de l’espace qui a déjà fait ses preuves dans le monde du jeu vidéo depuis longtemps (et qui ne manquera pas d’alimenter, on l’imagine, les moyens mis à disposition du jeu online décliné). Au final, bien qu’ils ne rendent pas compte des possibilités stéréoscopiques du film, ces procédés permettent de les suggérer en évitant les contraintes techniques qui y sont liées : le sentiment de profondeur est tout aussi illusoire que le sera l’impression de relief une fois les lunettes chaussées. Comme pour s’arracher à la surface de l’ouvrage dont il serait la transposition visuelle et animée, le film rappelle, dans sa tentative, ces petits livres ‘pop up’ qui ont conquis tant de jeunes enfants par les merveilles d’un surgissement renouvelé à chaque page tournée. L’objet s’exporte alors sur tous supports et s’adapte à toutes les déclinaisons, faisant du film un produit dérivé parmi d’autres.
Chapeautée par le groupe Toon Alliance, l’adaptation du Magasin des suicides jette des ponts entre les supports mais également entre les villes et les professionnels qu’elles abritent. Passé notamment par Liège (ainsi qu’à Angoulême et Montréal), le projet profite de la complémentarité des services réunis au sein du Pôle Image, auquel son sort est intimement lié, tout en bénéficiant des habituels avantages d’une co-production avec la Belgique. KWeb coordonne en effet l’offre Cross Media du PIL et à ce titre, s’intègre au processus de création avec Tapptic (responsable du jeu online) et Wahoo ! (filiale de Toon Alliance et à laquelle on devra, notamment, bon nombre des 1500 décors du film).
On ne compte plus les projets, américains ou européens, grosses productions ou créations audacieuses, en animation ou prise de vue réelle, ayant fait halte dans les studios liégeois. Et la liste ne cesse de s’allonger. On sera particulièrement attentifs à la sortie prochaine de Minuscule-le film, passage à la forme longue d’une série à succès qui mettra l’animation et la 3D au service de l’histoire de « fourmis disciplinées et de coccinelles malicieuses ». Les atouts du Pôle Image et de Liège dans son ensemble sont assurés : compétences dans le domaine de l’animation et de la 3D, spécialisation dans les procédés de post-production, avantages financiers et fiscaux liés à la co-production (notamment via son pôle Tax Shelter), développement de l’offre Cross Media au PIL et, plus largement, en Wallonie (via le Wallimage Cross Media) sont autant de ressources qui font de Liège un endroit de passage (physique et virtuel) privilégié pour une foule de projets internationaux.
Le magasin des suicides est donc un lieu de convergence où se retrouvent les meilleures aspirations au rayon cinéma comme les plus grands désespoirs, le fumeux fonds de commerce d’une famille Tuvache bien décidée à faire fortune. Parviendra-t-elle à nous vendre ce produit inédit aux effets saisissants avec la même conviction ? Réponse en septembre 2012.
Renaud Grigoletto
Juillet 2012
Renaud Grigoletto est chercheur FNRS au département des Arts et Sciences de la Communication de l'ULg. Sa recherche doctorale porte sur le relief au cinéma et dans les arts visuels.
Liens
Le magasin des suicides : www.lemagasindessuicides.com
Multiplane camera de Disney :http://www.youtube.com/watch?v=8d4-AUwkKAw (en anglais)
http://www.youtube.com/watch?v=R5yJCncdiAc
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