Que reste-t-il de l’agritourisme en termes d’image ?
L’agritourisme combine la demande croissante d’espaces de loisirs et de lieux d’hébergements et la recherche de diversification agricole. Cela pourrait être une bonne idée mais elle nécessite de concilier deux mondes et deux activités qui ne font pas toujours bon ménage. S’il existe de nombreuses exploitations agricoles qui accueillent les touristes, beaucoup de fermes touristiques n’utilisent que les murs de la ferme comme décor et réduisent les liens entre l’activité touristique et la production agricole à presque rien. Comment dès lors se démarquer si l’on est une ferme en activité des nombreux gîtes ruraux dont la promotion, tant en Wallonie qu’au Grand Duché de Luxembourg, a tendance à les associer à l’agritourisme ?
Vivre avec l’agriculteur, passer un bon moment en famille, se ressourcer dans la nature, retrouver ses racines, déguster les produits qui font la tradition et la fierté de la région visitée, sont à la fois différents produits d’appel orchestrés par le secteur du tourisme à la ferme et des représentations fréquentes de cette activité dans la population. Bien que les marchés agritouristiques wallon et luxembourgeois soient marginaux, que le tourisme rural, dont l’agritourisme fait partie, représente respectivement 20 % et 10% de l’offre touristique globale wallonne et luxembourgeoise, il existe cependant 380 tenanciers agritouristiques en Wallonie (pour 14 500 exploitations agricoles) et 66 tenanciers proposant des logements à la campagne dont 14 seulement gèrent des fermes en activité au Grand-Duché de Luxembourg (2 200 exploitations agricoles). Si les définitions et les pratiques de l’agritourisme sont multiples, les représentations peuvent différer selon les relations des personnes avec le monde agricole.
Pour aborder la question de la mise en scène et de l’authenticité, nous avons scruté l’image du tourisme à la ferme en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg1. Cette image complexe relève de la diversité de l’offre de services, de la façon dont celle-ci est communiquée et vendue, de l’image qui résulte de sources d’informations ne provenant pas directement de la promotion de la destination (tels que le bouche à oreille, les conseils et recommandations, les médias et l'influence du système d'éducation), et enfin de l’image modifiée par l’expérience chez les personnes qui ont expérimenté le tourisme à la ferme.
Peu d’agriculteurs rencontrés ont une réelle stratégie marketing en matière de communication. Comme le tourisme n’est pas leur premier métier, rares sont ceux qui ont eu une réflexion sur le positionnement sur le marché de leur activité touristique et par conséquent sur la façon de vendre ce positionnement. Néanmoins, l’idée qu’ils se font de l’activité agritouristique influence le produit et son image. Ainsi, selon les agriculteurs interrogés et par ordre d’occurrence, les touristes choisiraient le tourisme à la ferme d’abord parce que la ferme est en activité ; ensuite les vacanciers seraient séduits par le triptyque interactif « familles avec enfants, tracteurs, petits animaux ». Viennent après le prix, le cadre vert et naturel et la tranquillité, la nostalgie et le besoin de retrouver ses racines rurales, et pour finir, le confort d’un service individualisé différent de l’hôtel et l’assurance d’une présence permanente à la ferme.
Si les agriculteurs ont une idée des motivations des touristes qu’ils reçoivent et adaptent petit à petit leur produit, la création de l’image induite par le secteur est plutôt à rechercher auprès des organismes de promotion du tourisme en général et auprès des associations de tourisme rural et à la ferme comme Accueil champêtre en Wallonie ou l’Association de promotion du tourisme rural du côté luxembourgeois. Ainsi, depuis 1997, le discours d’Accueil champêtre en Wallonie a évolué. Ce ne sont plus des « familles agricoles » mais des « propriétaires » qui peuvent guider les touristes dans des thèmes variés comme la nature, l’agriculture biologique, l’équitation, la pêche, le patrimoine, ou la dégustation de saveurs locales. Quant au Grand-Duché de Luxembourg, l’image y est floue et le tourisme à la ferme reprend des activités dans des exploitations agricoles, qu'elles soient encore en activité ou non. L’image induite de l’agritourisme repose donc plus sur l’existence d’un socle naturel que sur une activité agricole.


Les paillassons attendent sagement les touristes - La cour transformée d’une ferme luxembourgeoise
Les enquêtes auprès de touristes potentiels conduisent cependant au constat qu’il existe en matière d’agritourisme des différences entre l’image induite par le secteur et les représentations des touristes potentiels. Les personnes interrogées mettent en avant diverses composantes de l’agritourisme dont les plus récurrentes sont par ordre d’occurrence : la découverte du monde de la ferme, la présence d’animaux, l’hébergement, la participation aux activités de la ferme, les produits à déguster, la ferme en activité. Les composantes de nature, de campagne, de tourisme destiné ou adapté aux enfants, d’accueil et de contact, de tranquillité complètent le tableau. Près de 84 % de l’échantillon considère important que la ferme soit toujours en activité lors de leur visite.
De plus, l’analyse des composantes de la définition du tourisme à la ferme permet de voir que les personnes ayant déjà pratiqué l’agritourisme ont tendance à mettre davantage en avant le cadre vert et naturel, ainsi que l’aspect bucolique dans leur définition du tourisme à la ferme. Quant aux personnes sans expérience, elles insistent surtout sur la découverte des activités agricoles avec participation à la clé ! Pour les urbains comme pour les ruraux, le cadre naturel compte moins que les activités à la ferme, avec une insistance plus marquée pour les ruraux.
Certains disent qu’il n’y a pas de divergence entre l’offre en agritourisme et l’image du tourisme à la ferme car le développement des services et infrastructures touristiques dans une ferme reste un processus d’adaptation progressif. Pourtant les enquêtes auprès des tenanciers et des touristes potentiels montrent des incohérences entre les représentations de la population et l’offre, notamment en ce qui concerne l’intensité des interactions entre l’activité agricole et la consommation touristique. L’image organique d’une agriculture figée dans les années 1950 engendre une représentation d’un agritourisme décalé en matière d’accueil personnalisé et de confort, et ce, malgré tant la communication d’associations de promotion que les expériences de nombreux touristes qui restent, il est vrai, toutes deux marginales.
Une partie importante des touristes et même une partie de la promotion pointent l’accueil personnalisé comme une composante originale de l’agritourisme qui offrirait un type d’interrelations que l’on ne trouve pas dans l’hôtellerie. Cependant, même si cela est perçu comme un service compris dans le prix, le temps à consacrer au touriste est toujours limité par le temps consacré à l’agriculture.