La participation aux activités de la ferme est souvent mise en avant par les touristes potentiels. Ils imaginent, surtout s’ils n’ont pas d’expérience en tourisme à la ferme, pouvoir participer aux travaux agricoles. Cependant, ils ne conçoivent pas correctement les dangers, la technicité et, quelquefois la pénibilité des travaux agricoles. Cette participation demande du temps aux agriculteurs, temps qu’il n’est pas toujours aisé de donner à la demande. L’image de la ferme en activité est d’ailleurs peu présente dans la promotion de l’agritourisme en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg. Néanmoins, cette discrétion s’explique autant sinon plus par l’assimilation de fermes sans ou avec peu d’activité agricole à l’agritourisme que par les soucis pratiques cités plus haut. Cet imaginaire de pouvoir jouer au fermier toute l’année traduit également une méconnaissance des calendriers agricoles comme le dit ce cultivateur : « Évidemment il n’y a pas de vaches à voir ici puisque c’est de la culture. J’ai eu une fois des touristes qui sont venus en hiver, c’était en février, et qui voulaient participer aux travaux de la ferme. J’ai dû leur expliquer que travaux de la ferme en culture,… pour l’instant on ne pouvait rien faire d’une certaine manière. Je ne peux pas épandre puisqu’il gèle, on ne laboure pas… À part dégager la neige s’il y en a, il n’y a rien à faire de particulier ». L’accueil des touristes dans une ferme soulève aussi des combinaisons d’objectifs antagonistes et peu réalisables tant pour l’agriculteur que le touriste : être en vacances sans les nuisances respectives de l’agriculture et effectuer son travail agricole quotidien sans les encombrements des touristes. Des adaptations semblent nécessaires au risque de glisser d’un agritourisme plutôt authentique à une « disneyification » de toute ou une partie de l’exploitation.


L’entrée des touristes est à gauche, celle des tracteurs à droite ! - Une ferme wallonne réaménagée … pour les touristes
Les touristes d’origine rurale et les touristes qui n’ont pas d’expérience en tourisme à la ferme craignent souvent la rusticité du confort à laquelle, pour les derniers, viennent s’ajouter l’isolement et les nuisances éventuelles. Ces caractéristiques négatives de l’agritourisme présentes dans les représentations mentales sont relativisées par les personnes ayant une expérience du tourisme à la ferme. La promotion tente de contrer cette représentation par de nombreuses photos, par la mise en avant d’équipement de luxe et par l’adoption d’une classification des hébergements. La tendance va vers un renforcement de la qualité imposé par une demande de plus en plus exigeante. Mais cet accroissement de qualité pourrait bien conduire lui aussi à une dénaturation du produit en lui-même, voire de l’environnement dans lequel il est développé. Les commodités des touristes et les services maximisés peuvent renforcer le côté secondaire de l’activité agricole, reléguant ainsi la ferme à une fonction de décor qui n’aurait dès lors plus qu’une fonction de commercialisation.
La recherche d’authenticité se traduit à travers l’importance accordée au cadre champêtre, à la tranquillité, à la présence d’exploitation à taille humaine, à l’esprit de l’accueil. Cette représentation d’une authenticité totalement utopique dans les campagnes d’agriculture modernisée, qui est recherchée par certains, peut cependant être une raison de rejet du tourisme à la ferme quand l’authenticité comprend également les odeurs, la boue et le bruit des machines. Beaucoup de touristes particulièrement urbains ont gardé l’image d'une ferme à l'ancienne (Martine à la ferme !) avec les géraniums sur les appuis de fenêtre en pierre de taille et les lapins blancs qui se regardent dans la mare. Oui, le secteur agricole bénéficie encore d'une image romancée et d'un imaginaire favorable bien que ne correspondant plus à la réalité de l’agriculture industrielle. La présence de l’humain au centre de sa profession et donc de sa ferme, l’accueil, la présence d’animaux, de vie, de village et de voisinage, de grands espaces, ensembles créent une attractivité positive. Le tenancier doit alors composer avec ce qui est possible compte tenu de l’activité agricole et ce que le touriste s’imagine. Car la voie de la sensibilisation au vrai contexte agricole n’est pas la plus aisée. On camoufle, on sépare voire on abandonne l’activité agricole économique pour correspondre à l’authenticité imaginée par le tourisme.
En évoluant vers un système d’un agritourisme où l’activité agricole est de plus en plus distincte de l’activité touristique, on peut voir progressivement une duplication de la ferme en elle-même : d’un côté un bâtiment agricole ancien rénové et destiné à l’activité touristique, et de l’autre de nouveaux halls destinés aux différentes activités purement agricoles et dans lesquels les touristes entrent peu. On se laisse facilement convaincre de l’existence de simulacre des temps agricoles passés et donc d’un décalage de 50 ans dans la connaissance des pratiques agricoles et dans les représentations qu’on peut avoir de l’agritourisme, aussi bien en tant que visiteur qu’hôte. La question est donc là : si l’évolution de l’activité agritouristique démarre de la ferme en activité pour en arriver à un décor, comment se démarquer et maintenir une pérennité ? Alors, l’agritourisme est-elle une destination en soi ? Sans doute de moins en moins vu les liens fragiles qu’il reste entre les deux activités que sont l’agriculture et le tourisme. D’un tourisme à thème basé sur la synergie puis le côtoiement de deux mondes et deux activités, l’agritourisme joue de plus en plus sur une mise en scène dans un décor agricole d’un temps passé. Faut-il crier au simulacre ?
Charline Dubois
Août 2012
Charline Dubois est chercheure en géographie, boursière du FNR-Luxembourg. Elle prépare une thèse sur l'agritourisme en Wallonie et au Grand-duché de Luxembourg, au sein du service de géographie rurale (Laplec)
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