L’homme loup
Lucas Cranach l’Ancien, Loup-GarouPapier, gravure sur bois, vers 1512
© Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique cabinet des estampes
Difficile d’interroger les représentations du loup véhiculées dans l’imaginaire collectif sans évoquer la figure du loup-garou. Ce mythe de l’homme se transformant en loup possède des racines très anciennes. On en trouve des traces dès l’Antiquité grecque et romaine. Il est par ailleurs commun à un très grand nombre de cultures. La naissance du mythe pourrait trouver une explication dans les cas d’hypertrichose, une maladie se traduisant par une pilosité excessive.
Le mythe du loup-garou connaît un essor particulier à partir du Moyen Âge et atteint son paroxysme au 16e siècle, où ont lieu en France plusieurs milliers de procès d’hommes soupçonnés d’être des loups-garous. « La religion va affirmer que le loup-garou existe et que ne pas y croire est une hérésie, commente Benoit Goffin. Lorsque l’on pensait avoir capturé un loup-garou, on le dépiautait et l’on regardait qu’il avait des poils l’intérieur de la peau. »
On leur attribue toutes sortes de méfaits sanglants, en particulier des meurtres d’enfants. Les accusés subissent le même sort que les personnes soupçonnées de sorcellerie, et finissent sur le bûcher. À la même époque, on cherche également à détecter dans la population les personnes susceptibles d’être des loups-garous. Certains signes physiques comme les sourcils épais et broussailleux, ou l’implantation basse des oreilles sont alors considérés comme des indices révélateurs.
La croyance veut que tout humain mordu par un loup-garou devienne loup-garou à son tour. On peut également se transformer en loup-garou en recouvrant son corps d’une peau de loup ou, selon certains récits, en l’enduisant d’un onguent spécial. « Ô Loup » propose d’ailleurs un reportage télévisé mettant en scène l’artiste pluridisciplinaire Jacques Vandewattyne, grand amateur de traditions populaires, interrogeant les habitants du Pays des Collines – cette région vallonnée entre Ath, Renaix et Lessines – à la recherche de témoignages. À partir de cette matière, Watkyne a créé une œuvre artistique proche de celle de Facteur Cheval dont on peut admirer une pièce lors de l’exposition.
Le loup a beau avoir totalement déserté nos forêts et nos campagnes, il a trouvé un nouveau refuge dans la littérature pour enfants. Chaque mois, une voire deux nouvelles parutions se basent sur une histoire de loup. L’une des salles du Musée royal de Mariemont est consacrée au foisonnement de livres pour enfants mettant en scène la figure du loup. Dans l’ouvrage de l’exposition, Michel Defourny, maitre de conférences à l’ULg, explique qu’au hit-parade de ces récits, ce sont les fables et les contes qui arrivent en tête. Terreur des agneaux, des biquets, des chevrettes, des cochonnets, des fillettes, des mères-grands, des bergers et des villageois, c’est le loup archétypal qui règne ici.
Le loup trouve également un vaste champ de représentation en bande dessinée. L’animal symbolise à peu de choses près la nature sauvage et occupe dans les récits une place tantôt centrale, tantôt secondaire. À mesure que se répand une pensée écologiste, la perception que nous avons du loup évolue vers une certaine « reconnaissance positive ». « À cet égard, les Indiens d’Amérique, dont Yakari est un bon représentant, bénéficient de la même réhabilitation, explique Frédéric Paques, historien de l’art à l’ULg et chercheur au Fonds de la Recherche Fondamentale Collective (FRFC). La vision de la nature des Amérindiens, empreinte de respect, permet aux auteurs de faire passer leur idéologie. Mais la facette plus inquiétante du loup réapparaît lorsque c’est un certain folklore traditionnel qui est évoqué, un passé où le loup était une menace pour l’homme. » Dans les deux albums qu’il pointe – Petit Poilu : La Forêt des Ombres de Bailly et Fraipon, et Les Hommes-Loups de Dominique Goblet –, Frédéric Paques décrit le loup comme peur centrale. Lointain souvenir d’une époque où le loup était l’un des principaux concurrents de l’homme, cette peur semble rester un des ressorts des récits pour les enfants.
Le retour du loup ?
Même si, en Belgique, on a tué le dernier loup en 1895 – on aurait également aperçu une meute durant l’hiver 1916-1917 entre Virton et Messancy –, il reste un animal mythique pour petits et grands. Aujourd’hui, il opère partiellement son retour. Depuis 1976, une loi protège l’animal et lui permet de stabiliser sa population en Italie, voire de la faire croître. D’année en année, certains loups, se sentant à l’étroit, finissent par remonter les Apennins et atteindre les Alpes. L’année 1992 marque la présence du loup dans le Parc national de Mercantour en France. Depuis, c’est une lente reconquête du territoire de ses ancêtres que le loup a amorcée. Sa présence est attestée dans les Vosges, les Alpes, dans le massif central ou sur l’Eifel, en Allemagne. « En Belgique, on retrouve des loups à Han-sur-Lesse ou en parcs animaliers où ils vivent en semi-liberté, explique Benoit Goffin. S’il décidait de s’installer en Belgique, le loup tomberait rapidement sur un village ou sur une autoroute. Un loup va peut-être passer par les Ardennes, mais il ne s’y implantera pas. » Face à ses nombreux partisans, des détracteurs (éleveurs ou riverains) s’opposent farouchement au retour de l’animal prédateur.
Sébastien Varveris
Juillet 2012

Sébastien Varveris est journaliste indépendant.
« Ô Loup ! De nos campagnes à nos imaginaires », au Musée royal de Mariemont, jusqu’au dimanche 2 septembre. De 10 à 18 heures, fermé le lundi.
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