Sous la loupe, le loup

catalogueLes loups ont quitté les contrées belges voici plus d’un siècle. Ancêtre probable des chiens domestiques, le loup gris est aujourd’hui rare en Europe occidentale. En septembre 2011, en région namuroise, huit brebis ont été victimes d’une espèce particulièrement brutale. Figure emblématique de nos contes, fables et légendes, le loup appartient tout autant à l’histoire qu’au mythe. Dans ce double registre, l’analyse des rapports de l’homme et de l’animal met en évidence un loup recherché, admiré, redouté, voire honni, dégageant ainsi les axes d’un imaginaire complexe, oscillant sans cesse entre attractivité et répulsion. Proposée jusqu’au 2 septembre au Musée royal de Mariemont, l’exposition « Ô Loup ! De nos campagnes à nos imaginaires » se propose d’interroger le regard pluriel et extrêmement riche que nous continuons de porter sur l’animal.

La mémoire de nos régions ne cesse de réinventer les représentations du loup. La littérature, les traditions populaires, les arts ou le langage quotidien – songeons à toutes les expressions autour du loup – constituent les vecteurs d’un imaginaire qui, de l’Antiquité au 20e siècle, des monnaies antiques aux rues de La Louvière, illustrent un thème d’une richesse insoupçonnée. « Cette exposition est une commande de La Louvière Métropole Culture 2012, commente Benoit Goffin, collaborateur scientifique au Musée royal de Mariemont et commissaire de l’exposition. En 2010 déjà, La Louvière nous demandait d’organiser une exposition autour du loup, la figure marquante de la ville. Il n’y a jamais eu d’événement ou de réflexion alors que l’animal est tout à fait présent dans l’imaginaire des Louviérois. Nous avons donc eu carte blanche. »

Un micro-trottoir – dont les images sont à découvrir à un moment donné du parcours de l’exposition – nous prouve que la plupart des habitants ignorent l’origine du nom de leur ville. Dans les réponses, la Louve du Capitole est fréquemment citée et beaucoup pensent que La Louvière serait un hommage à la communauté italienne venue travailler dans les mines de la région dès 1947-1948. Or, la présence de loups n’a jamais été plus importante à La Louvière que partout ailleurs. C’est ainsi qu’un mythe va progressivement prendre forme.

« Ô Loup ! De nos campagnes à nos imaginaires » est une exposition constituée d’un espace central et de quatre passerelles correspondant chacun à un imaginaire et une représentation du loup. La première est celle du loup protecteur, tutélaire et positif. La deuxième opère un basculement et donne à un voir un loup ennemi sur lequel l’homme décidera de s’acharner. La troisième passerelle est consacrée aux derniers loups de Belgique et à la mythologie qui les entoure. Le quatrième espace, lui, permet aux spectateurs de mieux décrypter la figure du loup-garou à travers ses nombreuses représentations.

colliersandronJusqu’à la fin de l’Antiquité, l’image de la louve romaine allaitant les jumeaux Romulus et Rémus apparaît de manière récurrente, notamment sur les émissions monétaires, comme symbole de Rome et comme évocation de sa légitimité politique. C’est également le cas dans la sphère funéraire. Dans ce registre, la louve peut être vue comme un symbole d’Aeternitas, garantissant l’éternité de Rome et celle de ses citoyens, ou bien considérée comme un simple emblème de romanité. On a également prêté au loup des vertus apotropaïques (qui éloignent le danger) et prophylactiques (qui préviennent la maladie). Au 1er siècle avant notre ère, dans son Histoire naturelle « Traitant des remèdes tirés des animaux », Pline l’Ancien décrit les différentes vertus médicales, voire magiques, attribuées à l’animal.  Le Musée du Service de Préhistoire de  l’Université de Liège conserve d’ailleurs le collier dit « de l’Abri Sandron » (photo ci-contre, © ULg), estimé à une vingtaine de milliers d’années. Dans l’ouvrage consacré à l’exposition, réunissant les contributions d’une quinzaine d’auteurs, le Pr. Marcel Otte explique que le porteur du collier exhibait ainsi sa bravoure et son audace de chasseur.

Cette vision tutélaire, prophylactique et positive du loup va être mise à mal par le christianisme. Selon la tradition, Remacle, alors qu’il était en train de construire l’abbaye de Stavelot, disposait d’un âne pour porter les matériaux. Un jour, un loup sortit de la forêt et mangea l’animal. Dans un geste qui augure déjà sa sainteté, Remacle condamne l’animal sauvage à remplir l’office de sa victime. « C’est pour cela qu’il est régulièrement représenté harnaché avec des pierres. Remacle a transformé le diable en un gentil animal domestique. On retrouve cette histoire un peu partout : en Normandie, en Bretagne, etc. L’histoire est parfois différente, mais le canevas reste le même », précise le commissaire de l’exposition. À Stavelot, ce récit est si populaire qu’il est utilisé pour interpréter le nom de la ville : Stâv’leu, pour o stâve leû, « à l’étable, loup ».

Un loup honni

Illustration de Gustave Doré pour Les Fables de La Fontaine
Paris, 1867 © Musée royal de Mariemont

loupsEntre le 11e et le 13e siècle, l’homme défriche, essarte et prend le pas sur la forêt. Il entre en concurrence avec les animaux qui peuplaient à l’origine les zones forestières. Dans ce contexte de rivalité pour un même garde-manger, la religion va transformer l’image du loup. Perçu comme un véritable ennemi public, le loup occupe, à ce moment-là, le premier rang des animaux réputés nuisibles, ce dont témoigne une réglementation spécialement conçue pour le contenir, le traquer, voire l’exterminer. À la fin du 14e siècle, le Livre de chasse de Gaston Phébus ou, au 16e siècle, La chasse du loup de Jean de Clamorgan, font le point sur les nombreux moyens et techniques mis en œuvre pour tuer l’animal.

En clair, l’homme doit faire preuve de la plus grande ingéniosité pour lutter contre celui en qui il voit un redoutable rival. La prime qui récompense généralement la prise du loup rend sa traque populaire et encourage le zèle des chasseurs. Les battues, le piégeage au filet, les pièges à mâchoires ou encore les fosses à loups ont rencontré un succès certain dans cette entreprise. « Le loup allait parfois jusqu’à se manger la patte pour se dégager, glisse Benoit Goffin. Dans d’autres cas, le piège était mobile, ce qui donnait l’impression au loup qu’il pouvait encore s’échapper… » Le poison, en particulier la strychnine sous sa forme de noix vomique, a également tué un nombre impressionnant de bêtes ; de même que le fusil, qui fait des ravages à partir du 19e siècle.

Récemment, les travaux de Jean-Marc Moriceau, professeur d’histoire moderne et directeur de la maison de la recherche en sciences humaines de Caen, ont permis de faire le point sur le statut du loup. Afin de savoir si l’animal était réellement un prédateur dangereux pour l’homme, Jean-Marc Moriceau a effectué une collecte de documents auprès des centres départementaux d’archives de France. « Moriceau a mis en évidence un lien entre le coté charognard et le coté anthropophage. Il y a plus de victimes en période de guerre : après les guerres de religion, après la Fronde, etc. Le loup aurait pris le goût de la chair humaine, ce qui lui aurait permis d’attaquer de manière plus importante par la suite », complète Benoit Goffin.

Au 19e siècle, la disparition du loup stimule une chasse d’autant plus acharnée qu’elle est exceptionnelle. C’est à ce moment-là que le loup disparaît de nos régions. La poursuite des derniers spécimens devient même presque héroïque. Parmi ces héros, Léopold Ier est l’auteur d’un véritable exploit cynégétique lorsqu’il parvient à terrasser un loup. La Tombe du Loup à Custinne (Houyet) témoigne du statut envié de « chasseur de loups » de Léopold.



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