Sous la double houlette de l’éditeur de La Branche, Alain Guesnier, également à la tête d’une maison de production, Agora Films, et de l’ancien directeur de la Série Noire, Patrick Raynal, la collection Vendredi 13 entend servir de réserve pour de futur films ou téléfilms policiers.
« Les éditions de La Branche, que j’ai créées il y a cinq ans, ne publient que des livres prédestinés à une adaptation pour la télévision ou le cinéma, explique Alain Guesnier. Ma première collection, Suite Noire, conçue comme un hommage à la Série noire de Gallimard et dirigée par Jean-Bernard Pouy, regroupait des novella d’une centaine de pages. Elle a donné lieu à une collection éponyme sur France 2, Arte et TV5, regroupant huit films réalisés par quatre hommes et quatre femmes. »
Les titres de Suite Noire sont des détournements de classiques du genre : On achève bien les disc-jockeys de Didier Daeninckx, Tirez sur le claviste de Chantal Pelletier, Quand la ville mord de Marc Villard, Le Petit Bluff de l’alcootest de Jean-Bernard Pouy, etc. L’un d’eux, La bannière était en noir, de Christian Roux, a donné lieu à un téléfilm de Laurent Herbiet, Le chant des sirènes, primé au Festival de La Rochelle.
Alain Guesnier a donc remis ça avec Vendredi 13, tout en étant bien conscient qu’il ne pourrait renouveler cette expérience télévisuelle, les chaînes recherchant d’abord des personnages récurrents. C’est pourquoi il tente d’initier des films unitaires. Le premier devait être l’adaptation du roman de Michel Quint, Close up, mais son réalisateur, le Franco-Chilien Raoul Ruiz, est mort pendant les repérages à Lille. Trois autres projets sont en cours, pour le petit ou le grand écran.
Sur les treize titres prévus, huit sont disponibles et les cinq derniers verront le jour d’ici la fin de l’année. La collection se veut variée comme en témoigne l’éclectisme de ses auteurs. Certains sont de purs « polardeux » – Jean-Bernard Pouy, Brigitte Aubert, Pierre Hanot (également musicien) –, d’autres viennent de là ou s’y risquent de temps en temps – Michel Quint, Pierre Bordage, Pierre Pelot –, d’autres y mettent les pieds pour la première fois – Jean-Marie Laclavetine, Patrick Chamoiseau, Alain Mabanckou, Olivier Maulin. Ces écrivains, dix hommes et trois femmes, viennent des quatre coins de la France et même de plus loin : des Antilles, du Congo et aussi du Danemark (Pie Petersen) et d’Espagne (Mercedes Deambrosis), et tous écrivent en français, excepté l’Américain Scott Philipps.
« Créer une série avec un nombre limité de volumes est une idée que j’avais en tête depuis longtemps, explique Patrick Raynal. J’ai choisi des auteurs qui possèdent tous un point de vue sur le monde et dont les univers sont très différents afin d’assurer la variété de la collection. Et si je ne voulais pas les ligoter dans le polar, la classification par genres ne me paraissant pas efficace pour juger de la littérature, je désirais pourtant rester dans le roman noir. Ils avaient une triple contrainte : écrire un livre d’action dont le héros met en jeu sa liberté, sa vie, facilement adaptable au cinéma – ne se passant pas dans le Japon médiéval, par exemple – et où intervient le Vendredi 13, une date porte-bonheur ou porte-malheur, ou tout autre chose. Diversifier leurs origines était une façon de montrer que la France reste un pays accueillant sur le plan littéraire. »
Le Chien de Don Quichotte de Pia Petersen parle de la difficile « rédemption » du porte-flingue d’un individu véreux, Close up de Michel Quint met en scène une prestidigitatrice prise à son propre piège et Le dernier contrat d’Olivier Maulin, un tueur à gages chargé, dans une France à feu et à sang, d’abattre le président de la République. Un cinquantenaire rangé des voitures, mais qui a le malheur d’habiter à côté des parents du nouveau ministre de l’Intérieur, est le héros de Samedi 14 de Jean-Bernard Pouy, tandis que celui de L’Arcane sans nom, de Pierre Bordage, est un jeune Afghan qui, cherchant à gagner le nord de la France pour passer en Angleterre, est traqué par des tueurs. Et c’est une autre course-poursuite qui s’engage entre une mamie retrouvant ses réflexes de barbouze et la mafia russe dans Freaky Friday de Brigitte Aubert.
À l’ULg, Dick Tomasovic enseigne les arts du spectacle, essentiellement le cinéma (mise en scène, jeu de l’acteur, écriture du scénario, cinéma d’animation), et s’occupe, comme directeur scientifique, d’une bibliothèque spécialisée dans la littérature de genres : le polar, le fantastique, la science-fiction et le sentimental1. Il commente les nombreuses et fréquentes interactions entre la littérature et le cinéma policiers.
Comment définir le roman policier ?
C’est une sorte de vaste continent formé d’énormément de régions. Du point de vue de la narration, on a tendance à opposer le roman à énigmes et le roman noir, d’atmosphère, où l’enquête elle-même est moins importante que ce que vont vivre les personnages et comment ils vont le vivre. Le premier est plutôt abstrait tandis que le second est extrêmement concret, très réaliste, davantage ancré dans les problèmes quotidiens. On peut aussi distinguer les différentes formes de polars en fonction des points de vue, celui du criminel, de l’enquêteur ou, plus rarement, de la victime.
Pourquoi ce genre vous intéresse-t-il ?
La littérature et le cinéma policiers possèdent une dimension populaire qui fait d’eux des secteurs prédominants dans leurs domaines respectifs. Le polar est l’un des genres les plus anciens, constitués et identifiés par le lecteur ou téléspectateur. Il s’est aussi toujours fait l’écho, de manière très vive, des préoccupations sociétales de son époque. Il livre ainsi une lecture sociologique ou même idéologique de la société.
À toutes les époques et dans tous les pays ?
Oui, très clairement. Les intrigues criminelles mettent systématiquement en jeu des questions sociétales, concernant la victime ou son meurtrier, mais aussi l’appareil de justice ou la question de la réception de ce crime dans la société. La thématique même fait resurgir des dimensions historiques ou de sociologie contemporaine. Et chaque territoire possède ses propres spécificités. Celles du polar scandinave, par exemple, ne sont pas tout à fait les mêmes que celles du polar français ou américain.
Que ce soit en littérature ou au cinéma ?
Oui, même si, évidemment, les codes sont propres à chacun des médias. Les thématiques, les figures, les ensembles idéologiques passent très bien d’un genre à l’autre. Ce sont deux médias qui ne cessent de s’influencer et de s’interroger l’un l’autre. Et on peut aussi ajouter la télévision où le roman à énigme connaît une très belle fortune alors que le cinéma préfère le roman noir.
1 BiLA - Bibliothèque des Littératures d'Aventures, 106, Voie de l'Air Pur, 4052 Beaufays, Belgique. bila@chaudfontaine.be www.centre-steeman.blogspot.com www.bila.chaudfontaine.be