Cosmopolis : un spectre hante le monde

Le spectre du capitalisme

Cosmopolis nous parle aussi de la fin d’un système, condamné à l’autodestruction : le capitalisme. En une journée à peine, le milliardaire perd tout et se retrouve à la rue suite à une transaction des plus risquées. Cloîtré dans son véhicule, le personnage ne semble n'avoir aucune idée des incidences économiques et sociales que pourrait avoir son acte fou sur l'échelle planétaire. Ne ressemble-t-il pas aux traders que certains voient aujourd'hui comme les principaux responsables de crises économiques mondiales ? Coupé du monde, tout est abstrait pour le personnage. L'économie en particulier. Bourse, dollar, action, faillite, stock-option, yen, marchés, FMI. Ce ne sont plus que des mots. Des signifiants presque entièrement coupés du signifié représenté. Toute cette perte de sens s'exprime dans le film par les nombreux dialogues austères, lointains ainsi que par la citation qui ouvre le film (et le roman également) : « un rat devint l'unité d'échange. » Cette phrase du poète polonais Zbigniew Herbert résume le mouvement en marche dans le film, quand l'argent sera coupé de toute signification, lorsque le rat remplacera les devises monétaires.

Le rat est justement porté comme étendard par les manifestants anticapitalistes que croise Eric Packer lors de sa traversée de New-York. Ils s'en prennent violemment à différents symboles économiques et de consommation : lancer de rats morts dans un restaurant, mise à sac de limousines ou du quartier des affaires. Nuisible, transmetteur de maladies, associé au monde des égouts et des ordures, le rat est en parfaite opposition avec l'univers capitaliste, représenté dans Cosmopolis par le monde ordonné et propre de Packer : limousine immaculée, écrans lumineux et bleutés, calculs ésotériques, abstractions et symétries ordonnées. « Votre prostate est asymétrique », lui annonce son médecin lors de son contrôle quotidien, presque en guise d'avertissement. Packer répétera à plusieurs reprises cette curieuse sentence, cherchant à en percer le sens. Sens qui lui sera révélé par Benno Levin, son meurtrier, lors de leur dialogue final : comme si le corps de Packer le rattrapait et l'entraînait vers l'organique et le concret. L'univers du chaos, de la violence, du rat.

La renaissance du vampire

image2bCosmopolis est aussi un voyage initiatique. Une renaissance au sens sacré. Packer est un homme froid, austère, désincarné. Un véritable « mort-vivant » comme le diront plusieurs personnages du film (dont Benno Levin). C'est Robert Pattinson, le célèbre vampire idolâtré des midinettes, qui incarne Eric Packer à l'écran. Le personnage ne quitte pour ainsi dire jamais son cercueil blanc ambulant où il se terre. Autre caractéristique vampirique, il fait venir à lui des femmes qu'il consomme, qu'il séduit avec son charme froid. Il semble n'avoir aucune émotion. Il est coupé du monde. Il est le spectre qui hante le monde.

En une journée, tout cet univers glacé va se fissurer. La simple volonté de traverser la ville pour un objectif dérisoire (se faire couper les cheveux) malgré les nombreuses menaces, est un premier pas dans le processus initiatique d'Eric Packer. Il va littéralement se dépouiller sous nos yeux. D'abord, il se met en faillite suite à des calculs erronés. Il perd tout ce qu'il possède et donc sa puissance. Le deuxième dépouillement concerne son cocon protecteur. Plus le film avance, plus sa limousine est mise à mal, salie, souillée. Dès qu'il quitte cet espace, il est irrémédiablement confronté à la violence : un entartrage devant caméras et  photographes puis il se fera tirer dessus par Benno Levin. Toujours dans l'idée de se dénuder en termes de protection, Packer abat lui-même son garde du corps. Plus rien ne le protège alors du monde extérieur. De la mort. 

En parallèle de la détérioration de son espace protecteur, l'aspect extérieur du personnage se dégrade progressivement. Il abandonne certains vêtements (sa cravate, sa veste) et suite à son attentat pâtissier, sa chemise se voit recouverte de tâches jaunâtres. Enfin, il quitte son coiffeur au milieu de la coupe de cheveux, ruinant pour de bon son apparence auparavant parfaite. Outre le dépouillement, son cheminement est aussi un retour aux sources : une visite chez un coiffeur modeste de son quartier d'origine. Cette volonté de retourner dans le passé s'oppose complètement avec ses obsessions de prédire le futur des marchés. 

Son parcours est parsemé par sa fascination pour la douleur. Comme s'il souhaitait se prouver qu'il était encore en vie, qu'il ressentait encore les choses. Packer ordonne à l'une de ses gardes de lui envoyer des décharges électriques sur le corps. Plus loin dans le film, il gaspille sa dernière balle chez Benno Levin pour se tirer dans la main. Le fait de se confronter à la douleur est une épreuve  mortifiante qui le mène à la fin du film, face à Benno Levin. Paradoxalement, sa renaissance s'achève au moment où il s'apprête à mourir. Et le générique final laisse ce terrible moment en suspens, sa mort sans cesse différée, son initiation presque accomplie. Le vampire est vivant.

Sylvain Bayet
Juin 2012

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Sylvain Bayet est diplomé en Arts du spectacle à finalité didactique. Ses recherches ont particulièrement porté sur le cinéma de Cronenberg.

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