Il est de ces livres que l’on découvre et qui nous poursuivent bien des années après les avoir refermés. Il est de ces romans qui semblent plus riches et plus beaux à chaque lecture. Assurément, Moi qui n’ai pas connu les hommes est de ceux-là. Son auteure, la psychologue et psychanalyste Jacqueline Harpman, fleuron de l’écriture belge contemporaine, est décédée il y a quelques semaines. Et si la perte d’une femme et artiste de talent est toujours tragique, l’on sait combien elle offre immanquablement une nouvelle mise en lumière de son œuvre. Il n’en fallut pas plus pour me décider à relire – à revivre – une nouvelle fois Moi qui n’ai pas connu les hommes.
Ce roman, qui manqua le Prix Femina en 1995, n’est pas le plus connu de J. Harpman, lauréate, au cours de sa longue carrière du prix Rossel, du prix Médicis, du prix triennal de la communauté française de Belgique, et du grand prix de littérature de la SGDL en 2006. Ce n’est pourtant pas la moins bouleversante de ces œuvres. L’histoire est celle d’une jeune fille, la narratrice, qui ne connaitra jamais le monde et la gente masculine, enfermée par erreur dans une cave depuis sa naissance au milieu de quarante autres femmes, sans qu’aucune ne connaisse les décideurs, le lieu, la cause de leur réclusion d’une absurdité quasi kafkaïenne. Plus tard, la prison est mystérieusement abandonnée et les portes laissées ouvertes. Les prisonnières deviennent des fugitives. C’est le début d’une vaine marche au milieu de nulle part, d’une errance qui voit peu à peu mourir chacune des protagonistes, jusqu’à la narratrice elle-même. Moi qui n’ai pas connu les hommes est un roman d’éducation, où les mères sont au nombre de quarante. La fin malheureuse de l’intrigue nous est donnée dès les premières pages du roman, mais Jacqueline Harpman réussit le tour de force de nous faire vivre l’attente de la narratrice et l’espérance d’un rebondissement. Lent, statique, mais néanmoins d’une vigueur surprenante, ce roman aborde des thèmes tels que la vie en communauté, l’intimité, l’absence de sexualité, la transmission du savoir et l’acceptation de la mort. À la fois doux et palpitant, il s’agit d’un chef-d’œuvre à lire absolument !
Samuel Namotte
Juin 2012