Voici un ouvrage remarquable qui mérite le détour : prenant appui sur l'étude de Auguste de Winne, journaliste au Peuple, qui avait parcouru la Flandre au début du siècle pour rendre compte de la misère qui y sévissait (Door arm Vlaanderen, 1903), Pascal Verbeken, lui aussi journaliste, part à la recherche de ces flamands venus travailler en Wallonie – certains s'installant définitivement dans ce qui était alors un eldorado, d'autres s'accommodant de trajets longs et pénibles pour garder un pied en Flandre.
Au détour d'un parcours qui l'emmène de Chaumont-Gistoux à Seraing en passant par Charleroi et La Louvière, Verbeken raconte l'histoire d'une région à la lumière des migrations importantes qui ont conduit tant de flamands dans les mines et l'industrie sidérurgique wallonne. S'appuyant sur de larges extraits de l'ouvrage de de Winne, qui permettent de se rendre compte de la réalité d'alors en Flandre, Verbeken évoque les traces, parfois furtives, de la présence de plusieurs générations d'ouvriers flamands venus travailler en Wallonie.
Ce procédé ingénieux permet de contraster la situation actuelle de la Wallonie avec l'âge d'or de la Wallonie industrielle, qui accueillait dans ses mines et usines toute la misère flamande. Le parallélisme éclaire de façon saisissante la Belgique d'hier et d'aujourd'hui. La misère des ouvriers flamands travaillant hier dans les mines fait écho au désespoir et à la lassitude d'une partie importante de la population wallonne aujourd'hui, la cohabitation difficile des immigrés d'hier avec les populations locales répond aux préoccupations actuelles en matière d'immigration, etc. Le récit, mi-historique, mi-contemporain, est rendu vivant par un style personnel et par la large place que Verbeken réserve aux témoignages – de personnes rencontrées au hasard de ses pérégrinations auusi bien que des derniers témoins d'une époque révolue où l'ouvrier flamand s'exilait vers une Wallonie prospère.
Ce faisant Verbeken livre un portrait sans concession de la Wallonie d'aujourd'hui, où la tendresse le dispute à la mélancolie. Ce portrait tout en nuance, loin des clichés souvent véhiculés par la presse, d'une Wallonie débarrassée de ses illusions industrielles et à la recherche d'un nouveau souffle, est aussi en creux celui d'une Belgique où les rôles se sont inversés en quelques décennies, ce qui rend les jeux de miroir encore plus éclairants.
L'ouvrage, qui a été suivi d'une série télévisée est illustré de nombreuses photographies de Michiel Hendryckx.
Patrick Wauthelet
Juin 2012
La terre promise - Flamands en Wallonie, Pascal Verbeken (trad. Anne-Laure Vignaux, éd. Le Castor Astral, 2010)