Comment imaginer avec succès l'aménagement de la place des Guillemins, alors que l'organisation des transports en commun qui relieront la gare de Calatrava à la ville n'a pas encore été définie ? Les deux problèmes devraient être indissociables ! Carte blanche de Pierre Englebert

On ne peut discourir sur l'aménagement de la place à créer devant la nouvelle gare des Guillemins sans faire référence aux futurs moyens de transport en commun. Ceux-ci auraient d'ailleurs dû être étudiés en même temps que le projet de la gare. Je pense en effet que le temps perdu au transfert d'un système de transport à un autre, ce que les spécialistes qualifient par « perte de charge », doit faire l'objet des préoccupations des responsables de la gestion de la Ville, autant que celles de la SNCB et du TEC.

Deux projets en lice: Dethier et Calatrava

À ma connaissance, deux idées circulent à propos de la future place. La première émane du bureau Dethier et associés, chargé par la ville de faire une proposition officielle, tenant compte de l'hypothétique ligne de tram que l'on s'évertue à vouloir faire renaître à Liège. La seconde est l'œuvre proposée spontanément par l'architecte de la gare, Santiago Calatrava. Toutes les deux font état d'un dégagement plus ou moins important devant la nouvelle gare, impliquant des expropriations et des démolitions dont le coût est exorbitant.

Le bureau Dethier intègre la ligne de tram Herstal-Seraing souhaitée par certains responsables ainsi que les lignes traditionnelles de bus. Le projet Calatrava montre un canal, dérivé du fleuve, reliant majestueusement la gare à la Meuse. Les deux projets proposent de prolonger ces aménagements par une passerelle qui rejoindrait le parc de la Boverie. Plus tard, grâce à une deuxième passerelle par dessus la Dérivation, le nouveau centre urbain appelé Médiacité serait lui aussi relié à la gare.

Le projet de l'architecte liégeois me paraît plus raisonnable que celui de l'architecte catalan. Moins grandiose, peut-être, mais surtout moins coûteux et tout autant capable de valoriser le nouveau quartier, il devrait être beaucoup plus facile à entretenir et cet argument vaudra dans l'avenir son pesant d'or. Déjà actuellement, on se rend compte que beaucoup de réalisations antérieures ont eu un coût d'entretien tellement élevé qu'elles sont devenues rapidement très surannées et que l'on a été obligé de les remplacer. Ce fut le cas en 1957 quand on choisit de démolir la première gare des Guillemins pour en reconstruire une nouvelle. Celle-ci fut érigée par le groupe EGAU et louangée à l'époque comme un monument. Cinquante ans plus tard, cette gare n'ayant pas été entretenue et la technologie ferroviaire ayant évolué, on s'est vu à nouveau obligé de la remplacer.

Pas de doute que cette troisième version de la gare n'échappera pas à un sort similaire à celui des deux précédentes. Sic transit gloria mundi. Il faut toutefois espérer qu'à l'instar du musée Guggenheim à Bilbao, la nouvelle gare va promouvoir par sa renommée la ville de Liège, comme la première gare des Guillemins avait en 1863 été à l'origine d'une extension et d'un développement  de la ville.

Lignes de tram et nouveau pont ?

Je voudrais maintenant revenir au problème plus général que pose l'aménagement de la place. Beaucoup voudraient rétablir une ou plusieurs lignes de tram à travers la ville. Aux lecteurs intéressés, je demanderai de lire les articles que j'ai écrits à ce propos. Le groupe "Urbagora" vient récemment de s'en inspirer en proposant d'utiliser de manière plus intensive le réseau ferré de la SNCB desservant la rive gauche et la rive droite du fleuve (voir le journal "Le Soir" du 25/26 juillet 2009).

Depuis 1989, je défends cette idée et j'estime que si ce réseau pouvait être complété en aval de la ville par un nouveau pont dont la localisation devrait être judicieusement choisie, il serait possible d'assurer une desserte globale de Liège et de son agglomération au moyen de "Michelines" cadencées toutes les cinq ou dix minutes selon le moment de la journée. Elles circuleraient sur une grande boucle ferrée Liège-Sclessin-Jemeppe-Flémalle-Seraing-Ougrée-Kinkempois-BonneFemme-Bressoux-Herstal et retour à Liège. Deux sous-boucles pourraient en même temps desservir à la fois l'aval et l'amont de Liège en empruntant le pont du Val-Benoît. Il conviendrait évidemment de rétablir des anciennes stations au long de ces boucles et d'en créer de nouvelles comme je l'ai démontré dans mes articles évoqués plus haut.

Ces boucles pourraient être complétées par deux lignes de trottoirs roulants qui relieraient d'une part l'Opéra à la station Bonne-Femme  et d'autre part la nouvelle gare à la même station Bonne-Femme tout en empruntant les galeries de la nouvelle Médiacité. Cette manière de concevoir un réseau moderne de transport en commun pour la ville et sa région aurait le grand avantage de réduire les "pertes de charge" à fort peu de chose puisque les Michelines passeraient dans la nouvelle gare, mais aussi dans les anciennes, ainsi que dans les nouvelles stations.

Une amorce de Réseau liégeois   1. En rose, les lignes SNCB rive gauche avec 18 stations (dont 7 réhabilitées) et rive droite avec 14 stations et 9 nouvelles. Ma proposition n'exclut pas que d'autres stations complémentaires puissent être envisagées. 2. Plusieurs solutions sont à étudier pour réaliser la liaison entre Herstal et Bressoux. Celle que je propose permettrait d'organiser la grande « circle line » (en rose) très simplement, puisqu'elle traverserait et desservirait l'île Monsin. En orange, vers l'amont et en mauve, vers l'aval, deux plus courtes « circle lines ». 3. En vert, les deux trottoirs roulants : Opéra-Bonne Femme Guillemins-Boverie-Médiacité-Vennes-Bonne Femme

L'argent que l'on veut consacrer au tram serait beaucoup mieux utilisé, selon moi, pour construire le pont manquant quelque part entre Herstal et Bressoux et les deux lignes de trottoirs mécaniques. Si l'on se mettait d'accord sur une telle manière de concevoir un réseau efficace de transport en commun pour la ville et sa région, on pourrait alors concevoir la nouvelle place des Guillemins.

Jean Englebert
Septembre 2009

Ingénieur civil architecte, urbaniste, Jean Englebert est professeur émérite de l'Université de Liège. Il a notamment créé, au sein de la faculté des Sciences appliquées, le Centre de Recherches d'Architecture et d'Urbanisme (CRAU).