Charles Darwin - L’Autobiographie

darwin175J’en conviens, sur la plage, il peut sembler prétentieux de lire l’autobiographie d’un des dix plus grands penseurs de l’histoire de l’humanité, ça peut faire un peu « poseur ».  D’autant que si vous tentez le coup, vous ne passerez pas inaperçu avec une première de couverture représentant le vieux Darwin dans une  dégaine de  patriarche austère comme un  pasteur. Et pourtant, ce livre qui est un des  témoignages philosophiques les plus  intéressants qu’il m’ait jamais été donne de lire – car il s’agit de la vie de Darwin et pas celle d’un présentateur télé –  peut se révéler un beau compagnon de vacances. Je l’ai lu à la montagne, il y a deux ans, entre deux balades dans les beaux pâturages valaisans et, depuis, je ne cesse de parler à qui veut bien m’écouter de ce récit où le savant, parvenu à l’âge de  67 ans, malgré tous ses ennuis de santé, peut enfin se confier, en laissant de côté les craintes qui l’ont miné toute sa vie (il rédige  ce texte six ans avant sa mort).

Ce chercheur considérable avait travaillé comme un bénédictin pour accumuler le maximum de preuves qui démontreraient cette théorie de l’évolution  qui était dans l’air du temps, comme une intuition partagée par quelques pionniers à l’aube du siècle de l’histoire inauguré par Hegel, mais que certains, comme son propre grand-père, défendaient un peu rapidement sans doute à partir de déductions qu’il était temps – Charles en était vraiment  convaincu – de soumettre  à l’épreuve du réel. Il avait d’abord consacré plus de vingt ans à mettre de l’ordre dans les matériaux (des milliers de preuves) qu’il avait notamment ramenés de son expédition à bord du Beagle, plus de vingt ans, donc, entre 1836 (quand il débarque du bateau du vice-amiral FitzRoy) et 1859, pour confirmer sa théorie et publier après beaucoup d’hésitations  L’origine des espèces, une théorie  révolutionnaire qui remettait en cause bien des idées religieuses reçues. Il lui en avait fallu douze de plus et encore un peu de courage supplémentaire  pour oser enfin aborder clairement la question de l’homme – celle qui,  à en croire Kant (son philosophe de référence), résume les questions philosophiques essentielles –  dans un ouvrage majeur que je ne saurais trop conseiller aux apprentis philosophes : La Filiation de l’Homme et la sélection liée au sexe, gros ouvrage paru en 1871 et enfin édité en français grâce au précieux travail directorial de Patrick Tort (Paris, Éditions Syllepse, 2000, 826 p. – je vous conseille de jeter un coup d’œil sur le site de l’Institut Charles Darwin International à l’adresse web suivante : http://www.darwinisme.org/). 

Dans l’autobiographie, en 1876, c’est la question d’un homme nommé Darwin qui intéresse le scientifique. Mais un Darwin qui a les qualités d’un sage, qui a vécu et souffert, qui a travaillé sans relâche, un Darwin qui a mûri et …fini par  se convertir à l’agnosticisme, le mouvement inverse des récits classiques. Jeune, Darwin était croyant, intéressé par la théologie et à en croire certains de ses proches, plutôt promis à un avenir de pasteur. À la fin de sa vie, il n’hésite pas à raconter comment il est devenu « incrédule » et écrit cette phrase qui ne laisse aucun doute sur la portée philosophique de cette conversion :

« Désormais, nous ne pouvons plus prétendre, par exemple, que la belle charnière d’une coquille bivalve doive avoir été faite par un être intelligent, comme la charnière d’une porte par l’homme. Il ne semble pas qu’il y ait une plus grande finalité dans la variabilité des êtres organiques et dans l’action de la sélection naturelle que dans la direction d’où souffle le vent ».

Darwin s’est progressivement débarrassé de Dieu et cela même sous la forme moins orthodoxe du  grand horloger – n’en déplaise à Voltaire. Plus fort encore, et cette phrase l’atteste,  il ne laisse pas la moindre ouverture pour que puisse s’insinuer cet autre avatar très tendance que l’on qualifiera de crypto-téléonomie, courant de pensée  auquel  les créationnistes semblent aujourd’hui  vouloir rallier la terre entière. Non ! Darwin est tout simplement devenu incroyant après tant d’années de travail scientifique, de preuves accumulées et  après bien des doutes. Quel courage il lui aura fallu pour accepter cette conversion au risque de blesser les siens et plus encore sa femme bien aimée, Emma, qui  « dans les meilleures intentions victoriennes qui soient » (j’emprunte les mots de l’avertissement au lecteur) avait expurgé le texte des passages trop audacieux (la présente édition les réintègre en grisé). Mais l’homme est cohérent, fidèle à sa pensée, en un mot honnête et tire les conclusions de son œuvre dans un beau texte écrit en toute sincérité et donc  en toute fraternité.

Comme il est arrivé au bout d’un parcours exceptionnel, le vieux Charles peut se laisser aller en toute confiance et nous livrer des petits secrets sur sa personnalité. Il nous parle avec naïveté et humour  de sa petite enfance, avec optimisme du travail de chercheur, avec honnêteté de ses doutes, avec émoi de son chagrin de père face à la mort de sa fille, avec « objectivité » de sa propre intelligence, avec sincérité de ses contemporains…  On y apprend bien des choses sur la vie et le monde et ça se lit comme un roman.

Stéphane Dawans
Juin 2012

Charles Darwin, L’Autobiographie, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Jean-Michel Goux, Paris, Seuil, 2008, 241p.

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