D’emblée, le titre porteur de désespoir du dernier roman de Delphine de Vigan s’impose. Et c’est en effet une histoire désespérante qu’elle nous conte là, l’histoire de sa mère, Lucile Poirier. Enfant, celle-ci était d’une beauté « stupéfiante » : elle attirait tous les regards mais restait souvent à l’écart, silencieuse et réservée. Elle était la troisième enfant d’une fratrie de neuf, une famille bohème, joyeuse et bruyante qui semblait promise au bonheur. Cependant, lorsque Delphine de Vigan retrace les jeunes années de sa mère, elle ne peut s’empêcher de noter : « Quel gâchis ! ». Que s’est-il passé ? Plusieurs malheurs ont douloureusement frappé cette famille apparemment très unie. Le mystère qui entoure ces événements ajoute au traumatisme. La mère, Liane, et le père, Georges, sont de fortes personnalités, difficiles à cerner. Le portrait que Delphine de Vigan trace de son grand-père dévoile de nombreuses zones d’ombre et il a clairement joué un rôle néfaste, tout en exerçant sur son entourage une véritable fascination.
Lucile portera toute sa vie le poids de cette histoire familiale dont elle tentera de se libérer par l’écriture. Mais le passé la rattrape et elle bascule dans une psychose maniaco-dépressive. Elle fera plusieurs séjours en hôpital psychiatrique. Dephine de Vigan nous donne à voir sa mère à travers les témoignages familiaux mais aussi à travers ses yeux d’enfant grandie trop vite. Elle tente de l’approcher au plus près mais reconnaît elle-même qu’elle n’y parvient pas vraiment. Ce portrait sensible d’une femme merveilleusement belle, mais terriblement malheureuse émeut profondément.
Lutgarde Nachtergaele
Juin 2012