
John Updike, Jonathan Safran Foer, Martin Amis:
More Floating and Falling Men
Il serait injuste de clôturer ce survol de la littérature « post 9/11 » sans mentionner quelques auteurs qui, à leur manière, ont contribué à décrire le paysage socio-culturel et psychologique engendré par les attentats. On exclura ici les récits où la tragédie du 11 septembre ne joue qu'un rôle ancillaire à la fois au niveau de l'intrigue et de la réflexion. C'est le cas d'Élégie pour un américain (2008) de Siri Hustvedt, de Shalimar the Clown (2006) de Salman Rushdie, de La belle vie (2006) de Jay McInerney et du récent ouvrage de Colum McCann, Et que le vaste monde poursuive sa course folle (2009), sans compter des dizaines de thrillers politiques et romans psychologiques de moins bonne facture. À noter que le roman de McCann met en scène, en lieu et place du falling man de DeLillo, l'exploit d'un autre performeur, le funambule français Philippe Petit, qui parvint à franchir indemne le gouffre séparant les deux tours jumelles sur un câble tendu le 7 août 1974.


Quant à Terroriste, l'ultime roman, un peu faiblard et caricatural, du regretté John Updike, il raconte l'histoire d'un lycéen qui renonce à entrer à l'université pour se consacrer à l'étude du Coran, devenant rapidement un islamiste fanatique sous l'influence de l'imam local. Dégoûté par la décadence et la luxure de ce qu'il ressent comme un monde impur, le jeune Ahmad perçoit son entourage comme des « démons qui veulent l'éloigner de Dieu ». Tandis que les filles de son lycée « se dandinent, ricanent, exhibent leurs corps tendres, leurs chevelures attirantes », leur ventres nus demandant « Y a-t-il mieux à voir ? », ses professeurs, « de vagues chrétiens et des juifs non pratiquants, font semblant d'enseigner la vertu, la correction et la maîtrise de soi, mais leurs yeux fuyants, leurs voix creuses trahissent leur manque de conviction ».

Enfin, Extrêmement fort et incroyablement près (2006), de Jonathan Safran Foer explore la psychogéographie post-apocalyptique de New York et établit un parallèle entre Ground Zero et le bombardement de Dresde en février 1945, lequel aurait fait près de 30.000 victimes, selon les estimations les plus récentes. Le narrateur de Foer est un jeune garçon de neuf ans nommé Oskar Shell (les références au Tambour de Günter Grass sont nombreuses). Le roman contient un flip book remanié par Oskar dans le but de créer une séquence animée retraçant l'ascension d'un homme « tombant » vers les haut de la tour nord (Oskar est persuadé qu'il s'agit de son père, disparu le jour des attentats), réaffirmant par la même occasion la primauté de la représentation visuelle et du thème de fuite et de la manipulation du réel dans la plupart des approches littéraires des événements du 11 septembre.

En guise de conclusion, on laissera sur ce thème le mot de la fin à Martin Amis qui, dans « The Last Days of Muhammad Atta » – une nouvelle encore inédite en français publiée dans le New Yorker en avril 2006 – décrit Atta non pas comme quelqu'un de religieux ou même d'engagé politiquement, mais plutôt comme un homme pour qui le fondamentalisme constitue « l'idée la plus charismatique de sa génération », une idée qui « s'adapte à son caractère ... avec une précision presque sinistre ». Le Muhammad Atta d'Amis ne rit jamais, « parce que rien ne le fait rire ». Il méprise de « la chose qu'on appelle le Monde », cette « chose » constituant pour lui une simple illusion, « un objet de raillerie irréel » (« an unreal mockery »). Et Amis de conclure, de manière à la fois tragique et facétieuse, dans un essai contenu dans son dernier recueil, The Second Plane :
Continuons à nous dire que la réalité dans laquelle nous vivons est grotesque et incroyable ... À la fin des années nonante, vous vous en souviendrez, l'Amérique disposait de tant de loisir, politiquement et culturellement, qu'elle pouvait se permettre de consacrer une année entière à Monica Lewinsky. Avec le recul, il nous apparaît maintenant que même Monica, même Bill, vivaient des temps innocents.
Depuis lors, le monde a subi un crash moral – l'équivalent spirituel, dans sa profondeur et son envergure globales, de la Grande Dépression des années trente. Dans notre camp, des procédures de coercition psychologique, des techniques d'interrogations ultra-perfectionnées, Guantánamo, Abu Ghraib, Haditha, Mahmudiya, deux guerres2, et des dizaines de milliers de victimes.
Tout ceci doit être mesuré aux prouesses de l'idéologie opposée, une idéologie qui, dans sa forme la plus millénariste, s'apparente à un abattoir situé à l'intérieur d'un asile d'aliénés... Les islamistes sunnites les plus extrêmes veulent liquider tous les habitants de cette planète à l'exception des islamistes sunnites les plus extrêmes ; mais tout jihadiste ressent le besoin d'éliminer les non-musulmans, soit par la conversion, soit par l'exécution ... Une manière de mettre fin à la guerre contre la terreur serait de capituler et de se convertir... Ce serait un monde où règnerait une terreur et un ennui parfaits, rien d'autre – un monde sans jeux, sans art, et, sans femmes, un monde où l'exécution publique serait notre seul et unique loisir.
Michel Delville
Septembre 2009

Michel Delville enseigne la littérature anglaise moderne et la littérature américaine à l'ULg
Photo de John Updike © N. Cramton -Opale / Éditons du Seuil 2Amis omet ici de mentionner les nombreux pays bombardés par les États-Unis et leurs alliés occidentaux depuis la fin de Seconde Guerre Mondiale.