Lorsque lord Slane, ancien vice-roi des Indes et haute figure de la vie politique anglaise de l’époque édouardienne, meurt à l’âge de nonante-quatre ans, se pose la question du devenir de sa veuve, qui n’est guère plus jeune que le défunt. Chacun s’attend à ce que lady Slane, qui a toute sa vie fait figure d’épouse et de mère exemplaire et soumise, se conforme sans rechigner aux arrangements que sa famille échafaude autour du cercueil patriarcal.
Mais lady Slane, qui, de par sa destinée, a davantage rêvé ses projets personnels qu’elle n’a pu les réaliser, décide de faire preuve d’indépendance pour pouvoir goûter de manière toute personnelle, « toute passion abolie », le temps qui lui reste à vivre.
Le souvenir de Vita Sackville-West (1892-1962) se limite trop souvent à celui d’une femme aux mœurs fort libres pour son époque. C’est injustement oublier qu’elle est une des toute grandes romancières britanniques du 20e siècle, alliant l’élégance de la plume à une narration toujours très vivante. Même si le cadre social où Vita Sackville-West fait évoluer ses personnages – celui de la haute société anglaise à laquelle elle appartenait – peut paraître bien suranné, l’analyse des caractères qu’elle effectue est si pénétrante et si fine qu’elle met à nu une série de ressorts de l’homme occidental où nous ne pouvons nous empêcher de reconnaître nos contemporains. Au moment où l’allongement de la durée de vie rend de plus en plus centrale la question du sort réservé par notre société à ses aînés, le roman de Vita Sackville-West, d’une manière à la fois légère et profonde, amène une bouffée d’air frais appréciable.
Frédéric Vanhoorne
Juin 2012