Daniel Pennac - Chagrin d’école

Coup de cœur 

chagrinécole175« En matière d’école la question de l’excellence se pose au sommet de l’échelle comme au fond des abysses, la meilleure école pour les meilleurs élèves et la meilleure école pour les naufragés, tout est là… » (p. 50).

Si vous voulez vous offrir un souffle de fraîcheur dans un monde de brutes, courez vous acheter le dernier Daniel Pennac, installez-vous confortablement, et lisez, lisez, ça se lit comme un roman…

Il est des matins chagrins où je rêve d’être autre chose qu’enseignante, et surtout autre chose qu’« experte » en sciences de l’éducation – que sais-je moi, égyptologue ou bibliothécaire – quelques heures, simplement, à mille lieues de l’école et de ses chagrins. Car parfois le monde de l’école est – c’est vrai – à désespérer. Pour ces matins de doute, il existe désormais un remède, un livre de chevet, Chagrin d’école de Daniel Pennac.

Récit de la métamorphose d’un cancre devenu professeur, cancre sauvé par quelques professeurs (« Il suffit d’un professeur – un seul ! – pour nous sauver de nous-mêmes et nous faire oublier tous les autres », p. 262), devenu lui-même « sauveur » d’élèves, de jeunes en mal d’école, échoués sur leur banc, la tête, le cœur ailleurs. Perdus. Absents. Pennac nous plonge sans pathos dans cette douleur de ne pas comprendre, cette peur au ventre de ne pas y arriver, ce chagrin qui vous colle encore à la peau des décennies plus tard, et qui vient hanter la mémoire défaillante de la mère quasi centenaire : « Se tournant lentement vers Bernard (ndlr : le frère aîné, bon élève), elle demande : tu crois qu’il va s’en sortir un jour ? », p. 14.

Avec la virtuosité qu’on lui connaît, Pennac débusque les pièges de ces pronoms fourre-tout dont les enfants-cancres sont prisonniers. Le « y », d’abord, du « je n’y arriverai jamais », le « en » du « de toute façon, je m’en moque » ou encore le « tout », le « ça » du « tout ça me gonfle » « ça me prend la tête » – côté élève – ou le « ça » – côté prof – du « on n’a pas été formés pour ça ». Toutes les peurs enfouies, les élans brisés, la crainte, l’ignorance de l’autre, l’impuissance que recèlent ces mots « sans fond »

Rescapé de l’école, Pennac, comme l’inoubliable instituteur du documentaire Être et avoir, n’est pas de ceux qui baissent les bras ou se résignent face au cancre, « l’élève le plus normal qui soit, celui qui justifie pleinement la fonction du professeur puisque nous avons tout à lui apprendre, à commencer par la nécessité même d’apprendre ! » (p. 274). Pour lui, tous les élèves peuvent y arriver, et puisque les mots sont son royaume, goûter aux plaisirs infinis et aux subtilités de la langue et de la littérature. Oui mais comment, me direz-vous, par quelle méthode ? Et bien de toutes les manières possibles et surtout imaginables, pour autant que le professeur réfléchisse au sens de ses pratiques, et maintienne le cap, contre vents et marées. Et pourquoi pas la dictée, la grammaire, la récitation, quand elles sont ainsi incarnées ? Non, il n’a pas oublié, le cancre, ses « terreurs d’enfant à l’approche d’une dictée »  (p. 145). Mais voilà, la dictée, on peut s’y prendre autrement, « tout reprendre de zéro »1 et c’est alors un bonheur, un bonheur gourmand, un bonheur d’ogre…

Dans ce Chagrin d’école, Pennac déconstruit avec allégresse les dogmes pédagogiques, ceux des anciens, qui rêvent de revenir à l’école d’antan et à ses certitudes, ceux des modernes, qui jetteraient volontiers le bébé avec l’eau du bain. L’essentiel n’est pas dans les méthodes, mais plutôt dans ce « je ne les abandonnais pas dans ces textes. J’y plongeais avec eux ». Les pédagogues retrouveront dans ce récit, sous des habits de fête, nombre des concepts fondateurs de la recherche en éducation, du fameux postulat d’éducabilité au tutorat, en passant par les prophéties autoréalisatrices et les composantes de la dynamique motivationnelle. Une somme pédagogique mise en œuvre. Élevée au rang de littérature.

Ce Chagrin d’école est un baume pour les élèves qui ont peiné à l’école, un miel pour les enseignants, les pédagogues qui continuent à y croire, malgré tout. Oui, la lecture de ce chagrin, curieusement, console. Et s’il y est question d’école, il y est aussi, surtout, question d’amour. D’amour de l’humain. « il est malvenu de parler d’amour en matière d’enseignement. Essayez, pour voir. Autant parler de corde dans la maison d’un pendu. » (p. 303).

Bien sûr, les désenchantés, les revenus de tout, vous diront qu’il rêve tout éveillé Daniel Pennac… C’est vrai qu’il rêve, ce fou de mots, cet égaré de l’enfance et, comme moi, il aime les hirondelles. Toutes les hirondelles. Surtout les déviantes, qui se heurtent au montant des fenêtres et s’écroulent, assommées sur le tapis. « Une hirondelle assommée est une hirondelle à ranimer. Point final. » (p. 305).

Dominique Lafontaine
Juin 2012

Chagrin d’école, Daniel Pennac (Paris, Gallimard, 2007)




1 «  Tout reprendre de zéro en quatrième ! Jusqu’en  troisième, il n’est jamais trop tard pour repartir de zéro, quoi qu’on pense des impératifs du programme. Je ne vais quand même pas entériner un perpétuel  manque de bases, refiler systématiquement la patate au collègue suivant ! » p. 148.

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