Rythmé par la présence de cinq églises (dont deux seulement sont toujours consacrées) qui, pour ceux qui sont encore capables d’identifier qu’il s’agit d’édifices religieux, signalent que la Cité ardente fut un « paradis des prêtres » et un « enfer des femmes », le parcours d’Openairs traverse ainsi un labyrinthe de sens toutes périodes confondues comme s’il pénétrait un cadavre exquis. Reste à savoir si le vin nouveau enivre encore le promeneur tant il s’avère que les monuments en place se fondent dans des environnements visuels saturés, que leurs significations se perdent, réduisant leur portée à une fonction décorative à peine plus noble qu’une jardinière. En effet, qui, en passant devant l’église Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception le long de la rue Hors-Château, y prête attention et est encore en mesure de décoder l’iconographie de sa magnifique façade baroque ? Ces nombreux signes supposés enrichir le sens de la ville sont-ils réellement efficients au delà du pouvoir de séduction du patrimoine ancien et de ses qualités pittoresques ? On peut en douter en même temps qu’on peut parier sur l’efficacité d’opération commando d’un événement comme Openairs. Le surgissement dans l’espace public de formes nouvelles aussi ostentatoires et insolites qu’un bateau de corsaires échoué sur le toit d’un salon de thé constitue une sollicitation suffisamment forte pour réactiver l’attention sur nos cadres de vie, inviter à réexpérimenter la ville… bref la réenchanter.

L’artiste interroge la perte de l’identité humaine au sein d’une société surpuissante martelant aux individus qui la composent l’ordre du profit les faisant sombrer dans le cauchemar.

Cet imposant tank doré se profile t’-il comme la nouvelle icône de notre contemporanéité ? Auréolé d’une frange de lumière avec ses baguettes luminescentes, l’outil de destruction guerrière crie toute la duplicité médiatique relatant les faits d’arme sur le mode glamour.

Suite à son naufrage imaginaire, un bateau corsaire échoué sur le toit du Tea Room, Place du Marché, continue mystérieusement de tanguer insufflant à la ville une respiration incongrue. Après le constat d’un hypothétique désastre naturel comme issu de nulle part, l’œuvre délivre en ses ferments un message d’espoir et engage à aller de l’avant.
Si on ne peut que relever l’impact visuel des sculptures d’OPENAIRS, reste encore à s’interroger sur leurs sens et davantage encore sur le sens qu’elles ont pour les usagers de la ville. Un des postulats les plus récurrents en matière d’analyse sur l’art environnemental est que ce dernier créerait un lien entre le goût populaire et la création vivante … comme si le fait d’imposer aux utilisateurs d’un centre urbain une création artistique garantissait ipso facto l’accès à son sens. Il suffit pour démontrer le contraire de s’éloigner d’une vingtaine de mètres du parcours d’OPENAIRS et traverser le patio du Palais Curtius pour interroger les promeneurs sur la signification de l’intervention de Lawrence Weiner (Straight is the Gate but Water finds its own Level, 2008) (http://www.grandcurtiusliege.be/nouveautes/lawrence-weiner) qui s’y trouve collée sur une vitre. Une grande part de la création contemporaine même implantée dans l’espace public demeure, il faut le reconnaître, inaccessible des non-initiés.

« Life is magnifique ® » se joue des codes architecturaux en remplaçant un chancre par la façade d’une maison idéalisée telle qu’on la retrouve dans la panoplie des jouets d’enfants, venant ainsi matérialiser la « façade » révélatrice de l’inscription en société.
Cette réflexion amène un grand nombre de questions. Il y a bien un fossé culturel. Mais s’agit-il d’une chose nouvelle ? N’en allait-il pas de même de bien des œuvres anciennes qu’elles ressortissent de pratiques environnementales ou non ? Qui parmi les hommes de la rue de la fin 18e siècle était capable de lire le chronogramme (DeIparæ aC anDreæ CoeLo proVIDente EXtrVor) qui frappe l’étroite façade de l’église Saint-André sur la place du Marché et d’avoir « correctement » accès à son sens ? Et, par ailleurs, le territoire culturel où opèrent les artistes d’aujourd’hui est-il toujours aussi enclavé que celui où évolue Weiner ? Ne s’agit-il pas souvent d’un problème d’accès physique aux pièces ? La même création vivante que celle qui s’asphyxie dans l’air climatisé des musées et des centres d’art ne pourrait-elle pas aussi descendre dans la rue et réussir à aller à la rencontre de la cité ? N’y a-t-il pas forcément, quelles que soient les difficultés de réception du sens de l’œuvre, une intention de partage ? Le travail des artistes dans la ville n’est-il pas agissant même s’il n’est pas « correctement » compris ?
Sans être dans une logique de combat contre les pratiques créatives difficilement accessibles des non-spécialistes, une expérience comme OPENAIRS démontre qu’il est possible d’ouvrir un travail artistique réellement significatif au grand public. Ici encore, le choix de travailler avec la technique du gonflable a de l’importance. Ces grandes baudruches avec leurs allures de sympathiques châteaux gonflables pour enfants constituent des outils mass médiatiques percutants tant par le caractère insolite et/ou ostentatoire dont je viens de relever l’intérêt que par leur identification par le plus grand nombre à une réalité commune. La sélection des artistes va dans le même sens. Johan Muyle confesse avoir orienté ses choix tant au su de la capacité des participants à intégrer dans leur démarche les exigences techniques du gonflable que de « leur faculté à parler aux publics, qu'ils soient initiés ou non, sans concession sur le contenu sémantique de leur démarche car il s'agit moins de s'adapter au niveau de langage du plus grand nombre que d'amener le plus grand nombre à la découverte de registres poétiques qui ouvrent autant sur le sujet apparent que les sujets réels de l'oeuvre d'art ».
Pierre Henrion
Mai 2012

Pierre Henrion est historien de l'art, il enseigne à l'E.S.A-Académie des Beaux-Arts de Liège et est conservateur au Musée en plein air du Sart Tilman.
Source photos et légendes : Province de Liège
Informations pratiques OPENAIRS Du 12 mai au 30 septembre 2012 Organisation : Province de Liège - Service culture en collaboration avec l’Office provincial des Métiers d’Art Lieu d’information et accueil du public : Galeries Saint-Lambert, niveau -1 (place Saint-Lambert, 4000 Liège) Visites guidées en français, anglais, néerlandais et espagnol sur demande. Réservations au +32(0)4 232 87 53 Catalogue disponible à partir de fin juin 2012
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