Dominique A, le Picasso de la chanson française

Parolier aux multiples facettes

S'il est amateur de littérature, Dominique A ne considère pas la musique comme un simple soutient du texte, on l'aura compris. Chez lui, les paroles ne dominent pas systématiquement la mélodie comme c'est le cas chez Brassens ou chez Renaud. Et pourtant, le texte est ici aussi très important. Artiste en perpétuelle recherche (ou en perpétuelle trouvaille), Dominique A ne semble pas avoir sur ce point-là non plus de méthode unique. Certains de ses textes sont avant tout sonores, d'autres sont porteurs d'un message construit. Parfois, les mots flottent dans une syntaxe floue, parfois au contraire de longues phrases se suivent sans trébucher. Quant au sens, tous les cas de figure se rencontrent, de l'hermétisme poétique à la narration claire, en passant par différent stades d'ambiguïté sémantique. Le chanteur fait preuve d'une grande variété de genres, recourant à l'évocation, à la réflexion, à la description de lieu, au récit réaliste, au récit fantastique (ou fantasmatique), au monologue ou au dialogue. Enfin, en ce qui concerne la versification, Dominique A s'essaye également à diverses techniques, vers libre, prose ou vers rimés.

Donnons quelques exemples. Sur La Musique, la très mélodique chanson intitulée  Nanortalik tourne autour des sons rudes de ce nom propre. Elle n'évoque la ville du Groenland qu'il désigne que comme un ailleurs à peine défini.

Je voudrais être
N'importe où
Nanortalik

La suppression de l'article avant le nom de lieu accentue son caractère sonore et souligne la quasi-paronomase « N'importe où / Nanortalik ».

Par contre, la chanson initiale, intitulée  Le sens, peut être qualifiée d'existentialiste, tant est claire la réflexion qui la porte. Claire, mais pas simpliste : le chanteur ne nous livre évidemment pas le sens de la vie. Il s'interroge plutôt sur son absence :

J'ai tout essayé
J'ai pas trouvé le sens
[...]
Peut-être y a-t-il encore un sens
Qui attend que j'aille le chercher
Sagement à la maternité
Un qui a son box aux urgences.
Peut-être ne suis-je pas né
Peut-être ne suis-je qu'absence
Tant que ne m'est pas donné
Le sens.

Thématiques

Cela nous amène à notre dernier point. Le caractère adulte de l'œuvre de Dominique A ne tient pas seulement au perpétuel esprit de recherche qui l'anime tant dans ses compositions que dans son travail des mots, il repose également sur les sujets traités. Dans son dernier disque, il est question du sens de la vie ( Le sens), de la mort ( Immortels), de l'envie d'un ailleurs (Nanortalik  et  Des étendues », du sentiment d'étrangeté que l'on peut ressentir même en présence d'un être cher (Qui es-tu ? ), des errances d'un alcoolique (Hasta que el cuerpo aguante ), de l'effet produit par la musique ( La musique), de l'émotion légère suscitée par la découverte de vieilles photos au fond d'une armoire (La fin d'un monde), de celle que procure la terre vue d'avion (Dans l'air ), de la fatigue (Fatigué), de l'ennui (L'entretemps), de la solitude, de la mort et du retour d'Ulysse (Seul le chien )... Sur d'autres disques, Dominique A traite de nombreux autres sujets et certains d'entre eux sont en rapport direct avec les questions que peuvent se poser les hommes de son âge et de sa génération, comme notamment le rapport aux enfants ( Pendant que les enfants jouent ), la paternité pour un père divorcé (Le fils d'un enfant ), le rapport avec les personnes âgées de sa famille ( Retour au quartier lointain), le chômage ( Le travail ), les souvenirs d'enfance dévorés par l'oubli (Rue des Marais). Et bien entendu Dominique A parle de l'amour, du rapport entre les hommes et les femmes et de la sexualité. Ces thèmes plus courants ne sont cependant pas traités avec la légèreté qui leur sied d'ordinaire. Quand il chante « Qu'est-ce que tu ne ferais pas pour la peau ? », Dominique A donne à sa voix un air désespéré : la question qu'il pose y acquiert une profondeur abyssale, elle reste ouverte, insoluble, tragique. Elle a trait à la définition de la condition humaine, voire au « il n'y a pas de rapport sexuel » de Lacan et n'a absolument rien de l'hédonisme artificiel et publicitaire des milliards de chansons interchangeables dont nous abreuvent les radios chaque fois que l'on en tourne le bouton « jusqu'au proche déclic ».

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 Laurent Demoulin
Juillet 2009

icone crayonLaurent Demoulin est docteur en Philosophie et lettres. Ses recherches portent sur le roman contemporain belge et français, ainsi que sur la poésie du XXe siècle.

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