« The Family of man », ou la diversité d’une grande famille

 

clervaux

« The Family of man », monumental projet collectif monté par le photographe Edward J. Steichen au début des années 50, rassemble plus de 250 photographes autour d'une seule thématique : l'être humain. Originellement présentée au MoMA de New York, l'exposition a été reconstituée en 1994 à l'identique au château de Clervaux, au Luxembourg, d'où Steichen était originaire.

1951. En pleine Guerre froide et en réaction aux dévastations causées par deux guerres mondiales, Edward J. Steichen (Luxembourg,1879 - Connecticut,1973) photographe d'origine luxembourgeoise installé aux États-Unis, pionnier de la photographie moderne aux côtés d'Alfred Stieglitz, et ancien responsable photo des éditions Condé-Nast (« Vanity Fair », « Vogue »), entame la préparation d'un projet monumental, qui sera inauguré 4 ans plus tard au Musée d'Art Moderne (MoMA) de New York : « The Family of man ».

Château de Clervaux © CNA - Romain Girtgen

Après un appel aux photographes professionnels et amateurs, 2 millions d'envois de par le monde et 503 sélections plus tard, Steichen, assisté de Wayne Miller et de Paul Rudolf, choisit de présenter les photographies de plus de 250 auteurs originaires d'une soixantaine de pays. Dans une scénographie bien étudiée, ils se donnent pour objectif d'expliquer l'homme à l'homme par le langage universel de l'image photographique, tout en jouant sur l'intégration de ce dernier au centre du processus et de la dynamique de leur exposition. Itinérante, celle-ci connaîtra un succès retentissant de Washington à Mexico City, en passant par Bruxelles, Hambourg, Saïgon, Damas ou encore Téhéran.

family of men  family of men © CNA Raoul Somers

C'est donc au cœur d'une l'histoire de l'Histoire que l'on plonge directement dès lors que l'on se rend au château de Clervaux. Cette charmante ville du Luxembourg, dont le château remonte aux environs du XIIe siècle, présente le travail de Steichen depuis 1994, et ce de façon permanente. Se focalisant notamment sur un rapprochement entre le déplacement du visiteur dans un flux immobile d'images fixes pleines de vie, et le mouvement des images entre elles ou en elles, la scénographie, très cinématographique, de l'exposition se retrouve fidèlement reproduite dans le respect de l'installation originale et de sa présentation spécifique de 1955.

levinstein

D'entrée de jeu, les images résonnent entre elles et se répondront tout au long de la visite. À chaque fois, la manière de présenter les photographies est intimement liée au sujet du thème, comme par exemple les photos de jeux d'enfants accrochées en forme de cercle et gravitant comme une balle autour d'une image centrale, ou celles du jeu de cartes disposées comme pour défiler dans un projecteur. David Linton, Mildred Grossman, Henri Cartier-Bresson, David Duncan, Robert Capa, Dorothea Lange, Robert Doisneau, August Sander... parmi beaucoup d'autres, montrent, au travers de 37 thèmes humanistes, que nous formons finalement tous une grande famille. Les paysages marins sont rapprochés du ventre rond d'une femme enceinte ; à la création de l'univers répond la création de l'homme, symbolisée par une large photo du ciel mise en parallèle avec celle d'une petite fille nue dans les bois ; le portrait d'un homme noir jouxte celui d'une statue de l'âge glaciaire. D'emblée, la ressemblance des signes et des traits entre les photos nous introduit le leitmotiv de l'exposition : l'appartenance de l'homme à une seule famille, mais dans le respect d'une extrême diversité.

Leon Levinstein, Couple in New York, 1952 © Howard Greenberg Gallery, NYC
 
 
 

Images noir et blanc, et citations

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Déroulé comme un coquillage, le premier grand thème, celui de l'Amour, s'ouvre sur une succession d'images très intimes, le mariage, la naissance, ou encore les relations parents/enfants. Le mouvement des têtes, les lignes et les courbures des corps fonctionnent comme un rythme de jazz où partout se retrouve le même mouvement ondulatoire. Jamais une seule indication de lieu ou de temporalité n'est donnée au coursde la visite, ce qui renforce évidemment l'universalité du propos. Seuls un numéro et le nom du photographe sont indiqués ; comme une unique signification qui exprime ainsi un sentiment plus global, intemporel. Des citations de William Blake ou Montaigne, en passant par Lao-tseu, Einstein ou la Bible, structurent et ponctuent la disposition des images. Ainsi une phrase, tirée d'un conte populaire africain, oriente la réflexion sur le thème de la Jeunesse : « Jeune arbre aux merveilles, tu croîs sur des ruines ». Toutefois, une même image revient sporadiquement tout au long de la visite, celle du petit flûtiste de Eugène Harris, qui fonctionne comme un lien visuel entre les thèmes en proposant une mélodie imaginaire et très certainement unique pour chaque visiteur, reliant ainsi les différentes étapes de l'exposition.

Eugene Harris, Popular Photography © Violet M. Olsen, Oakland, USA
 
 

Les valeurs de la « Famille de l'homme »

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La partie principale de la collection aborde sans surprise le thème de la Famille, déployé sur un socle principal où les sujets universaux d'égalité, de travail, de divertissements, d'éducation, de religions et de structures familiales quadrillent et organisent la présentation des images. La première partie de la collection est alors unifiée à la deuxième par un escalier en colimaçon, construit spécifiquement pour l'événement. Placé stratégiquement près du thème de la Musique et de la Danse, la construction spatiale du lieu nous fait alors tourner sur nous-mêmes afin de nous amener à nous déplacer dans un pas de danse similaire à celui des photographies de danse. Tout en descendant, nous voyons la dynamique des images s'accélérer et le mouvement des lignes et de courbes s'accentuer jusqu'à une ultime photo presque « gelée », celle d'une personne recroquevillée sur elle-même, dont la solitude est encore renforcée par la perspective architecturale du couloir. Après toutes les scènes collectives, l'homme visiteur-acteur se retrouve ensuite seul avec ses réflexions, ses sentiments, ses colères et angoisses, face à des situations dramatiques et difficiles. Les images de détresse, de révolte et de haine côtoient ainsi celles de la peur, de l'abandon et du rejet. Comme ce soldat américain pendant la Guerre de Corée, photographié au moment où il apprend qu'il ne peut plus espérer aucun renfort, nous sommes face à nos propres démons.

Lou Bernstein, untitled, 1949 © Irwin Bernstein

Naissance de l'univers et de l'homme

Grossman

C'est naturellement vers l'Espoir même que l'épilogue de l'exposition « The family of Man » est consacré, épilogue symbolisé à travers « l'image-lien » des Nations-Unies où, à l'union des peuples correspond à nouveau l'union entre l'homme et la femme. Comme si les auteurs voulaient permettre et laisser la place, dans un éternel retour et pour clôturer dignement la boucle, à la naissance des générations futures. Un rappel des toutes premières images de la collection qui commencent l'histoire de cette famille, avec la création de l'univers et la maternité, deux conditions de possibilité de notre existence.


Ainsi, tout au long du parcours, le visiteur est invité à se rapprocher de ces êtres mouvants, à travers ce flot de photographies, toutes noires et blanches, plus ou moins larges ou imposantes. Une invitation, aussi, à pénétrer dans les tréfonds de l'âme humaine, de ses sentiments, habitudes et nécessités, en opérant un aller-retour constant entre soi et les autres. L'exposition « The Family of man », inscrite dans le Registre de la Mémoire du Monde de l'UNESCO depuis 2003, offre un point de vue profondément humaniste, universaliste mais aussi sentimentaliste. A travers les images de cette exposition qui vaut indéniablement le détour, le visiteur aura sans doute aucun le sentiment qu'il est toujours le même, d'où qu'il vienne et où qu'il aille. Une exposition qui, comme le souhaitait Steichen, est bien « le miroir de l'unité fondamentale de l'homme dans le monde entier ».

Mildred Grossman, Couple in New York City 1954 © University of Maryland, Baltimore County, 1989

 

Mélanie Grégoire
Juillet 2009

 

icone crayon

Mélanie Grégoire est journaliste et photographe. 

 

Musée « The Family of man », Château de Clervaux, 9712 Luxembourg.
Ouvert du 1er mars au 31décembre, du mardi au dimanche, de 12 à 18h.
Tél. : +352 92 96 57. Infos :  www.family-of-man.public.lu