817 fois 17 grammes de réalité : Richard Wright
Wright

Le grand écrivain noir Richard Wright a pratiqué le haïku comme un exercice du regard : 817 concentrés de poésie.

L’écrivain Richard Wright (1908-1960) fut un pionnier de la littérature noire américaine. Engagé politiquement (il fut communiste) et par l’écriture dans le combat pour la condition des Noirs aux États-Unis, ses œuvres les plus célèbres sont son roman Un enfant du pays (1940) et son autobiographie Black Boy (1945).

Plus singulièrement, il a écrit dans les dix-huit derniers mois de sa vie plus de 4000 haïku de forme assez orthodoxe, dont ses 817 préférés furent publiés en 1998, soit longtemps après sa mort. Il furent, selon sa fille Julia, « des antidotes qu’il se prescrivait à lui-même pour surmonter la maladie », le « comptage minutieux des syllabes » servant de « garde-fou des violentes expériences du deuil ». Il est touchant que ces circonstances l’aient tardivement fait passer à la poésie, et compréhensible qu’il ait compulsivement et exclusivement opté pour cette forme ultra-brève, ascétique et lumineuse.

Depuis son importation en France en 1905, la pratique du haïku par des Occidentaux est toujours délicate, mais, entre respect de la règle et liberté, elle participe de la circulation des formes comme de leur renouvellement. Outre le décompte régulier des syllabes (le haïku japonais est fait de trois « vers » de 5, 7 et 5 syllabes), auquel Wright ne déroge que quelques fois, on note qu’il respecte assez souvent la contrainte sémantique majeure du genre : la présence d’un mot évoquant la saison ou le moment de l’année auxquels se réfère le poème1.

Cette orthodoxie laisse toutefois s’exprimer une voix originale, en une poétique riche et cohérente. La poésie de Wright est d’abord un exercice du regard et de la captation. Loin d’appliquer son minimalisme à la quête d’une essence des choses, elle rend compte d’objets et d’événements concrets perçus dans leur contingence : animaux, végétaux, sons entendus, météores, êtres humains. Certains poèmes décrivent ce qui est vu d’un coup d’œil et d’une expression :

A tall pretty girl
Wearing a purple raincoat
In the month of June.

(Une grande belle fille / En imperméable mauve / Par ce mois de juin.)

La plupart, cependant, introduisent dans l’espace des dix-sept syllabes un événement, un acte, une mutation. C’est un monde en mouvement, vibratile, presque instable, que l’instantané du poème fixe. Dans les meilleurs ou les plus touchants, c’est la coïncidence exacte de l’événement et de son expérience dans l’expression qui assure l’effet poétique :

From out of nowhere,
A bird perches on a post,
And becomes a crow.


(Sorti de nulle part, / L’oiseau se perche sur un poteau / Et devient corbeau.)

L’oiseau ne devient corbeau qu’au moment où la fin de son mouvement rencontre le regard du poète. Et miraculeusement, ces petits poèmes parviennent souvent à dépasser l’écueil du conflit, inhérent à la poésie, qui oppose l’insaisissable variabilité des objets et leur impossible mais inéludable nomination.

 


 
1 On comparera utilement le recueil de Wright au Book of haikus de Jack Kerouac, beaucoup plus libre à ce double point de vue (publié récemment aux mêmes éditions de La Table Ronde : Jack Kerouac, Le Livre des haïku, 2006).

 

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