Magritte, sa vie... mais pas son œuvre !

L'ouverture du musée Magritte à Bruxelles s'est imposée comme l'événement culturel incontournable de ce mois de juin. Les files d'attente devant le musée et les chiffres de fréquentation (plus de 30 000 visiteurs en moins d'un mois !) témoignent de l'engouement du public pour cet artiste...  et de l'impressionnante campagne de communication qui a accompagné l'inauguration. Cependant, le musée a opté pour une présentation très conventionnelle, qui ne suscite aucune réflexion, aucune découverte.

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Le musée présente actuellement 250 pièces, œuvres et archives confondues. La collection des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, exposée dans son intégralité, a été complétée par des prêts d'œuvres issues de collections privées et publiques. Ainsi, toutes les périodes de la vie de l'artiste et tous les médiums qu'il a expérimentés (peinture, dessin, photographie, sculpture, film etc.) sont représentés.

Comme l'explique Michel Draguet, directeur des MRBAB, dans le dossier de presse : « Le musée Magritte est une réflexion contemporaine sur un thème qui est également un thème littéraire : la biographie ». L'accent est donc mis sur la vie de l'artiste, avec un parcours chronologique : trois étages pour trois périodes de la vie de Magritte. À l'entrée de chacun des étages, une frise situe les principaux événements qui ont jalonné la vie de l'artiste durant la période présentée (ses expositions, ses déplacements, ses rencontres, etc.). Les  nombreux documents d'archives mettent le visiteur en présence de ses amis, de sa femme Georgette, et des membres du groupe surréaliste. Malheureusement, la relation se réduit le plus souvent à un face à face du visiteur avec les photographies ou les signatures de ces différentes personnalités, dont on n'a rien appris à l'issue de la visite. Qui sont Paul Nougé, Louis Scutenaire et Camille Goemans ? Quel rôle ont-ils joué dans la carrière de Magritte ?

C'est le statut des archives exposées qui pose question ici : on pourrait en effet supposer qu'elles constituent une documentation offrant des clés de lecture des œuvres. Mais il n'en est rien. Mis en valeur dans de belles vitrines, ces documents sont, à l'instar des tableaux, baignés d'une douce mais très faible lumière qui, dans la pénombre caractérisant l'atmosphère mystérieuse, voire sacralisante du musée (toutes les baies ont été occultées), a pour effet de les réifier. Ces archives ne sont pas conçues comme des supports de médiation, mais comme des œuvres en soi. On chercherait en vain quelque discours de l'institution permettant d'aborder les textes souvent difficiles d'accès signés par le groupe surréaliste.

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Sur les cimaises du musée Magritte, la seule parole admise est celle de l'artiste lui-même, puisque de très (trop) nombreuses citations ponctuent la visite. Magritte, comme nombre de ses contemporains, prétendait que son travail ne souffrait pas de commentaire, et que seule l'imagination devait permettre au regardeur d'établir une relation aux œuvres. N'est-ce pourtant pas le rôle d'un musée d'accompagner la découverte (ou dans ce cas précis la redécouverte souvent) de l'œuvre d'un artiste, en offrant aux visiteurs des points de repère et des pistes de réflexion ? Le musée n'est-il pas un lieu où le regard « travaille », c'est-à-dire s'étonne, s'éduque, et idéalement se modifie ? On comprend bien que les concepteurs du musée aient voulu éviter un décryptage psychanalytique des œuvres. Fallait-il pour autant renoncer à toute médiation ?

Dans le même ordre d'idée, on peut également regretter qu'aucune place ne soit faite aux œuvres d'artistes qui ont influencé Magritte (les MRBAB comptent pourtant quelques Chirico dans leur collection), ou d'artistes qui ont accompagné sa carrière (le groupe surréaliste belge par exemple). Aucune place non plus pour les générations qui ont suivi, et qui, éventuellement, ont pu sinon s'inspirer, du moins s'imprégner du travail de Magritte ou s'y référer. Une telle mise en perspective aurait pu permettre au visiteur de mieux situer la place et l'importance de Magritte dans la production artistique nationale et internationale, du XXe voire du XXIe siècle.

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Le seul discours de l'institution (encore une fois largement axé sur la biographie) est concentré sur un support particulier : l'audioguide. Mais si ce dernier était vraiment considéré comme un élément essentiel de la visite, sa location serait intégrée au prix d'entrée. Or, pour avoir accès à ce commentaire, le visiteur doit investir quatre euros supplémentaires, ce qui monte  le prix d'entrée au musée à douze euros...

Alors sans doute faut-il prendre en compte le contexte particulier qui est celui d'une reconnaissance institutionnelle tardive de l'œuvre de Magritte. Cette « sanctification » de l'artiste pourrait en effet être envisagée comme un moyen d'expier et de faire oublier le mépris du passé. Accessoirement bien sûr, la représentation de l'œuvre qui est proposée ne risque pas de perturber l'image qu'en avait le visiteur avant d'entrer au musée : aucune surprise, aucune remise en cause ne l'attend. En ce sens, aucune déception n'est possible : si l'on appréciait le travail de Magritte avant la visite, on continuera à l'apprécier après, et vice-versa. Mais en offrant si peu de prise à la réflexion, si peu de distance, le musée appauvrit l'expérience de visite et la résume à un bref pèlerinage, d'une icône à l'autre.

Fanchon Deflaux
Juillet 2009

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Fanchon Deflaux  poursuit des recherches post-doctorales au Séminaire de Muséologie de l'ULg. Elle s'intéresse particulièrement aux expositions d'art contemporain.