À l’Ombre du Silence

affiche 40 60 comes print copieLe musée des Beaux-Arts de Liège a choisi de mettre prochainement à l’honneur un auteur wallon de bande dessinée : Didier Comès. Sous le commissariat de Thierry Bellefroid, c’est une riche rétrospective de sa carrière qui nous est proposée du 11 mai au 16 septembre (vernissage le 10 mai à 18h30) dans les cimes du BAL (îlot Saint-Georges).

Portrait de Didier Comès © Catherine Henry

disier domes copieDieter Hermann Comès est né en 1942 à Sourbrodt, dans les Cantons de l’Est alors annexés par les Allemands. Il verra son prénom transformé en « Didier » à la Libération. Œuvrant tout d’abord comme dessinateur industriel, il déploie à côté une intense activité de musicien de jazz. Ce n’est qu’en 1969 qu’il réalise ses premières bandes dessinées, dans les journaux Le Soir et Spirou. C’est pour la version belge du journal français Pilote qu’il réalise son premier récit d’envergure Le Dieu vivant (1972-73). Œuvre de commande au style exubérant, ce récit intègre certains poncifs de la science-fiction et de la fantasy, mais témoigne d’un savoir-faire graphique indéniable. L’auteur y adresse des clins d’œil aux maîtres du genre, tels Druillet ou Mézières, mais aussi à Pratt. La suite ne paraîtra que sept ans plus tard… Entre-temps, l’auteur livre au journal Tintin un autre long récit, L’Ombre du corbeau (1976). Cette histoire fantastique se déroule en plein no man’s land, pendant la première guerre mondiale. Construit de manière complexe, il est dessiné d’un trait fin, presque précieux, rehaussé de tons clairs. Cette histoire ne trouve pas son public et Comès traverse une période creuse de deux ans, refusant de se plier aux exigences commerciales.

La traversée du désert va prendre fin en 1977. Un récit lui est commandé, pour un magazine qui en est encore au stade de la gestation : (À Suivre), des éditions Casterman. Cette revue ambitieuse, créée par Jean-Paul Mougin et Didier Platteau, a pour but de donner ses lettres de noblesse à la bande dessinée, en fournissant aux auteurs un support haut de gamme, où ils peuvent s’exprimer sur la longueur. Silence ne paraît qu’en 1979, dans le treizième numéro de la publication, aux côtés des travaux de Jacques Tardi, Hugo Pratt et Jose Muñoz, entre autres. Divisée en chapitres, abordant des thèmes graves, cette histoire de grande ampleur rencontre l’un des objectifs du journal, qui est de provoquer « l’irruption sauvage de la bande dessinée dans la littérature », selon les termes de Mougin. Silence aborde des sujets chers à Comès : l’exclusion, la ruralité, la mort, la sorcellerie et le chamanisme. Cette œuvre met également en place un style graphique et narratif que l’auteur n’aura de cesse ensuite de polir et d’épurer. Ce style est fait de traits élégants et d’épaisses masses noires où un certain réalisme cède souvent la place à la stylisation ou à la caricature. La narration s’autorise de longues séquences silencieuses et prend le temps de poser des atmosphères. Ce livre, qui connaît un grand succès d’estime autant que populaire, consacre son auteur comme un des grands artistes de la bande dessinée de l’époque, et également – au corps défendant de l’auteur, qui n’aime guère être mis en case – comme un chantre de la ruralité. Cela se confirmera par son récit suivant, qui aborde les mêmes thèmes : La belette.

sil027st-1Comès, À l’ombre du Silence © éditions Casterman
27evag-1Comès, Eva © éditions Casterman

Auteur rare, Comès abordera ensuite d’autres genres et d’autres lieux, mais mettra toujours au centre de ses albums les mêmes obsessions : ce seront Eva (1985), L’Arbre-Cœur (1988), Iris (1991), La Maison où rêvent les arbres (1995), Les Larmes du Tigre (2000), et enfin Dix de der (2006). Nous le voyons, l’auteur est perfectionniste, et sa production se ralentit au fil du temps. Cette exposition permettra de découvrir ou de redécouvrir, à travers un parcours thématique et de somptueuses planches originales, tous ces albums restés, quelque part, un peu dans l’ombre de Silence.

Frédéric Paques
Mai 2012

Frédéric Paques  est chercheur en Histoire de l'art à l'ULg et termine sa thèse consacrée à la bande dessinée belge jusqu'à la Première Guerre mondiale.