Le public est tenu à distance

AnDebie833-PietroPelliniLorsqu’on pénètre dans la salle, on réalise qu’on sait finalement assez peu de la performance. Au delà des stéréotypes qu’on s’en est du moins fait. Rapidement toutefois, la question se pose d’un détournement, exacerbé par le temps, du concept même à la base de l’art performance. D’une aspiration à la liberté – réduire les frontières conventionnelles de l’art et de manière plus générale, les conventions elles-mêmes, surgirait un autre cloisonnement. D’un acte polysémique, se voulant fort et plein de l’imagination du spectateur intégré à l’espace sensible et à l’espace interprétatif, émergerait une œuvre éphémère, isolée dans le silence et l’incompréhension. À la base de notre démarche de spectateur résidait une question, essentielle : que veulent nous dire ces artistes aujourd’hui ? Pourquoi s’emparer de cette forme d’expression en particulier ?

À la base de la démarche donc, une curiosité pour le principe même de la performance artistique, plus que pour l’acte qui serait donné à voir. Et l’artiste de sembler partager cette indifférence ou, peut-être, de manifester par l’indéfini la condition nécessaire pour que se projettent nos reconstructions. Tout au plus en effet l’artiste veille à entretenir une tension, celle conséquente au caractère imprévisible du déroulement de ses gestes, celle, aussi, due à la nature inquiétante des accessoires qu’il choisit d’utiliser. Le silence souligne le suspens en lequel est tenu le public mais peut-être aussi déjà, la gêne de celui-ci. Le malaise se généralise bientôt : quelques rires échappent et sont contenus, immédiatement. Il s’agit ici de garder un silence pieux tandis que la création se matérialise devant nous. La performance ne tolère pas la dérision. Cette sacralisation de l’art ou de l’acte artistique nourrit malheureusement le malaise et favorise une distance entre l’artiste et le public que nous sommes. Cette mise à distance contrarie immanquablement le libre processus de l’imagination ; elle limite aussi l’impact émotionnel. Cette gêne, ce trouble ne peuvent néanmoins pas s’assimiler au choc que la performance artistique dut provoquer lorsqu’elle apparut dans les cercles artistiques il y a quelques décennies. Force est donc d’en revenir à l’interrogation de départ, touchant à ce qu’entend questionner une telle forme alors que la question de la définition des arts, par cette voie, semble éculée. La performance a-t-elle tout dit ? Perpétuer une forme qui paraît surannée donnerait peut-être à celle-ci un sens nouveau. En l’absence de clés concédées par l’artiste, face à son langage cryptique et dès lors tenus à distance de son univers, serions-nous forcés d’assister à une nouvelle manifestation d’autoritarisme de l’œuvre d’art ?

Émilie Corswarem et Christophe Leveau
Mai 2012

 

 


 



Photo © Pietro Pellini