L'ULg joue un rôle central dans le dépouillement du « Fonds Izoard » récemment acquis par la Ville de Liège. Un trésor inestimable qui, au prix d'un travail de bénédictin, vient d'être dépoussiéré et inventorié, pour mieux cerner l'œuvre de cet écrivain hors du commun devenu emblématique de la poésie belge.
« Le prix fixé pour acquérir ce fonds ? Nous parlons tout de même d'Izoard ! Nous nous serions réellement trompés si nous avions laissé se disperser le fonds d’un homme d’une telle dimension. Songeons à ce que peuvent valoir des manuscrits de Simenon aujourd'hui ! ». Cette comparaison, c'est l'échevin de la culture Jean-Pierre Hupkens qui la formule, conscient de la valeur inestimable des manuscrits du poète liégeois. Comme Simenon en effet, Izoard figure au centre du petit panthéon des brillants Liégeois à qui la Ville doit une partie de son rayonnement et de sa fierté. La preuve avec le rachat, par cette dernière, du « fonds Izoard » à Maria Beuken, légataire du grand poète liégeois. Qui est aussi, selon d'autres, un « fleuron de l'histoire culturelle de Liège ». Et l'un de ceux pour qui le superlatif ne semble pas exagéré. « Un poète qui a réussi à être publié à Paris, sans devoir jouer la carte de la « belgitude », mais sans renier celle-ci, et en étant essentiellement reconnu pour la qualité de ses textes, résume Primaëlle Vertenoeil, organisatrice des rencontres littéraires de l’asbl « Levée de Paroles ». À Liège, il a été à l'origine d'un renouveau de la poésie. Il a découvert et soutenu de nombreux jeunes poètes, tels Eugène Savitzkaya, Karel Logist ou encore Serge Delaive. »
C'est aussi un homme qui a écrit 7000 poèmes au cours de sa vie. On imagine donc sans peine l'ampleur du fonds Izoard, qui rassemble l'ensemble des documents papier liés sa vie littéraire : poèmes et textes critiques écrits à la main ou dactylographiés, carnets, recueils remis à l'éditeur, mais aussi des documents liés à sa vie littéraire, correspondance, listes, annonces d’événements littéraires auxquels il a participé ou organisés, rencontres, affiches, archives de revues qu’il a animées, etc. Soit quelque 3000 documents, souvent de plusieurs pages, compulsés et inventoriés par Gérald Purnelle, chercheur à l'Université de Liège. « Autant de sources documentaires qui ont servi à établir le texte des œuvres poétiques et permettront d'étudier sa vie, ses relations avec les autres poètes, éditeurs et amis. D'étudier, aussi, la genèse de ses textes, ou simplement de les dater, les identifier, retracer l’histoire des recueils. Le fonds recèle encore bien des éléments susceptibles de nourrir l'étude de l'oeuvre : génétique des poèmes, études des variantes, des modes d'écritures, etc. Les autres archives, qui seront aussi inventoriées scientifiquement, sont une source inestimable pour la recherche, qu'il s'agisse de construire la biographie d'Izoard, d'étudier son parcours littéraire, sa carrière et son action, ou, plus largement, la vie littéraire liégeoise, belge et internationale de 1958 à 2008. L'ensemble constitue la source de l'œuvre, mais plus du tout la source qui permet de faire connaître le poète. C'est la source qu'il faut remonter et non plus descendre », indique-t-il, en sortant d'une étagère un petit carnet Clairefontaine où, à l'horizontal, sont jetées quelques lignes écrites au stylo-bille. Les « premiers jets » d'Izoard, à raison, dit-on, de deux poèmes par soir. « C'est beau, un manuscrit de poète, note Purnelle, l’œil pétillant. Son écriture me fascine. On voit par exemple que le poème est souvent écrit d'un trait, comme d'ailleurs ses textes critiques. La plupart du temps, il n'existe pas plusieurs brouillons d’un même poème. Lorsqu'Izoard corrigeait, c'était au moment même de l'écriture, et non a posteriori en changeant assez sensiblement le texte initial. On voit bien qu'il passait un certain temps devant la feuille, mais aussi qu'il était un poète de la spontanéité, du jaillissement. À l'opposé, il est vrai, d'un certain type de poètes qui remettent cent fois leur poème sur le métier ».
(Fonds Izoard)
En se portant acquéreur du fonds, obtenu pour un montant de 20 000 euros, la Ville souhaitait faire montre de son intérêt pour « son » Izoard, dont l'héritage documentaire est aujourd'hui abrité à la bibliothèque Ulysse Capitaine, y rejoignant notamment celui de Marcel Thiry. « Le voisinage est donc sympathique » plaisante Hupkens, en rappelant également la création prochaine d'une Fondation Izoard. « Pourquoi Izoard et non un autre ? J'ai envie de dire : Parce que lui. C'est le résultat d'une reconnaissance naturelle, évidente et largement partagée. Il y a certes d'autres Liégeois honorables dans cette discipline mais, en cherchant à faire école, en accordant de l'attention à des talents naissants, avec une volonté de transmettre et de protéger quelquefois, en faisant à ce point don de sa personne, Izoard a été naturellement célébré de son vivant. Et continue de l'être aujourd'hui ».
Au delà de l'hommage et de l'entreprise de préservation de la mémoire du poète, l'échevin de la culture explique vouloir encourager un mouvement. « Le monde de la littérature à Liège n'est pas un désert, pas aussi confidentiel qu'on l'imagine, explique Hupkens. Or, dans le domaine de la poésie, on n'a pas fait des tonnes de choses. Au delà d'Izoard, nous souhaitons donc ouvrir un nouveau chantier en direction du monde de la poésie et des lettres. La redynamisation des bibliothèques, l'installation d'un prix littéraire, mais également l'organisation d'un festival de lecture à l'horizon 2013, s'inscrivent dans cette perspective d'investissement d'un nouveau champ culturel. La Fondation Izoard et l'homme lui-même pouvaient alors faire office de point d'appui pour des développements ultérieurs et d'instrument de notoriété pour la Ville de Liège ». Et de rappeler qu'un projet de Maison de la Poésie traîne depuis longtemps dans les cartons. « À mon sens, forcément une 'Maison Izoard' » conclut Hupkens.
Patrick Camal
Avril 2012
Patrick Camal est journaliste indépendant.