Le cinéma hongrois

Le Nickelodéon, en collaboration avec l’Association des Hongrois de Liège, proposera du 24 au 26 avril un cycle « cinéma hongrois » à la salle Gothot de l’ULg. Avant de laisser place aux trois films prévus, petit retour sur les spécificités historiques et esthétiques d’un cinéma trop méconnu et aujourd’hui en danger. 

Des débuts difficiles

Bien que plusieurs projections aient eu lieu à Budapest au 19e siècle, et que quelques amateurs se soient essayés à la réalisation de bande d’actualité, le cinéma hongrois prend véritablement forme en 1912, à la création du premier studio du pays. Deux hommes vont alors rapidement se distinguer, non pas tant dans leur pays qu’à l’étranger quelques années plus tard. Mihaly Kertesz réalise ainsi 38 films entre 1912 et 1919, tandis que Sandor Korda en tourne 25 entre 1915 et 1919. L’histoire du cinéma les retiendra sous les noms de Michael Curtiz, cinéaste hollywoodien majeur (Les aventures de Robin des Bois avec Errol Flynn mais surtout le chef-d’œuvre Casablanca), et d’Alexander Korda, probablement l’un des plus grands producteurs de l’histoire du cinéma britannique (To be or not to be de Lubitsch, Le troisième homme de Carol Reed et le trop méconnu La renarde, de Michael Powell et Emeric Pressburger). Parallèlement, un jeune homme va faire ses premières armes cinéphiliques en regardant ces films : Béla Balazs, figure majeure de la théorie du cinéma, sera un contemporain de Kertesz et Korda. Cette période faste du cinéma hongrois va pourtant très vite connaître sa première catastrophe : à la chute de la République des Conseils, l’amiral Miklos Horthy prend le pouvoir, et un règne de terreur prend place. C’est le départ de Curtiz, Korda, Balazs mais aussi des acteurs comme Bela Lugosi ou Peter Lorre, qui feront carrière à Hollywood.

Miklos Jancso, figure majeure du cinéma hongroisLe cinéma sous le régime communiste

Une période ambiguë va prendre forme au milieu des années 40. D’une part, à la chute du nazisme, le cinéma hongrois va bénéficier de la Fondation de l’École Supérieure de Théâtre et de Cinéma en 1946, suivie de celle du Studio Bela Balazs en 1958. D’autre part, le cinéma va être nationalisé dès 1948, la dictature prolétarienne imposant alors le réalisme socialiste comme critère de base pour la production nationale. Il faudra alors attendre l’amnistie générale de 1963, assouplissement idéologique non négligeable du régime en place, pour que le cinéma hongrois connaisse son âge d’or. C’est à cette époque que les grands noms vont apparaître : Istvan Gaal, Andras Kovacs mais surtout Miklos Jancso vont réaliser leurs premiers films. Quelques années plus tard, Béla Tarr viendra grossir les rangs des cinéastes reconnus, nettement influencé par le cinéma de Jancso. Il existe alors deux grandes visions du cinéma en Hongrie : d’une part les formalistes et d’autre part les réalistes (l’École de Budapest, en documentaire, mais aussi les fictions), toutes deux attachées au soin de la photographie de leurs films. Cet âge d’or, puisqu’il convient de l’appeler comme ça, durera jusqu’en 1989.

Photo : Miklos Jancso, figure majeure du cinéma hongrois

Le cinéma hongrois d’aujourd’hui… et de demain ?

La chute du mur de Berlin va porter un coup décisif au cinéma hongrois. Avec la fin du communisme, le cinéma hollywoodien va envahir de plus en plus les salles, tandis que les productions nationales, aux budgets réduits, vont devoir choisir entre l’orientation populaire ou l’orientation artistique assumée. Béla Tarr, cinéaste très personnel, va devenir malgré lui la figure de proue d’un cinéma hongrois affaibli mais reconnu mondialement, glanant fréquemment des récompenses dans divers festivals. À l’instar de plusieurs pays de l’Est, la Hongrie connaît une « nouvelle vague » de réalisateurs dès les années 2000, tout en laissant la place à des cinéastes comme Béla Tarr ou Miklos Jancso qui bien que toujours actifs ne s’exportent plus en dehors des frontières du pays. En 2010, Viktor Orban accède au pouvoir, et impose d’emblée des mesures autoritaires. Si le Premier ministre conservateur est connu pour sa loi liberticide de la presse proposée en janvier 2011, il est aussi instigateur de la réforme du cinéma hongrois dans ce qu’elle peut avoir de plus dangereux. Orban nomme Andrew Vajna, producteur hollywoodien (Rambo, Terminator, Evita), comme commissaire responsable des films dans le pays. Pour Vajna, le cinéma hongrois doit devenir populaire et gagner de l’argent, au détriment si besoin des films d’art et d’essai qui, malgré leurs prix internationaux, n’attirent pas beaucoup de monde (en 2010, les films hongrois avaient attiré 414.533 personnes, sur un total de 10,9 millions d'entrées). Les résultats ne se font pas attendre : les cinéastes hongrois reçoivent des soutiens internationaux (Aki Kaurismaki, les frères Dardenne) mais le fait est qu’en 2011, aucun film hongrois n’a été produit. Pour beaucoup, c’est le retour d’une dictature à peine masquée, où les films opposés au pouvoir ne verront pas le jour. Seul l’avenir le confirmera peut-être.

Une programmation représentative

Au travers de ses trois films, le Nickelodéon propose un panorama représentatif de ce qui s’est fait, jusqu’à ce jour, en Hongrie. D’un côté, Béla Tarr est au sommet de son style avec Le cheval de Turin, représentant une certaine conception moderne du cinéma hongrois, tandis que Taxidermia et Johanna incarnent eux ce renouveau des jeunes cinéastes des années 2000, plus décalé, plus postmoderne. Trois films placés sous le signe de la folie de ses personnages, d’une part, mais aussi sur le principe de l’allégorie, soit le sujet de mémoire de Noémie Toth, étudiante en deuxième Master en Arts du Spectacle et Responsable du projet. « Je trouve qu’il y a une rupture dans le cinéma hongrois contemporain, plus décalé que celui de l’âge d’or, dont les films étaient assez lents, plus contemplatifs. Taxidermia est assez trash si on le compare à un film de Béla Tarr ! » confie-t-elle. « C’est pour ça que l’on a opté pour cette programmation : deux visions opposées et complémentaires du cinéma en Hongrie ». 

Le cycle débutera par un événement de taille puisqu’il s’agira de la première projection nationale de l’ultime film de Béla Tarr, Le Cheval de Turin, Ours d’Argent au Festival de Berlin 2011. Noémie l’assure : elle a « fait des recherches pour en être bien sûre, mais Le cheval de Turin est bien une première belge ! Il y a eu une avant-première à Paris en octobre ou novembre, mais rien d’autre. Même pas de dvd. » Pour cette occasion unique, le Nickelodéon n’a pas lésiné sur les moyens et s’offre la présence de Yann-Eryl Mer, assistant réalisateur du film (qui parle très bien français, rassurez-vous). La projection sera suivie d’une rencontre et d’une discussion avec le public, ainsi que d’un drink aux couleurs de la Hongrie. Le cycle se prolongera avec la projection de deux longs métrages osés qui marqueront à coup sûr les esprits : Taxidermia de György Pálfi et Johanna de Kornél Mundruczó.


Page : 1 2 3 next