La réapparition, depuis le début des années 2000, du phénomène de la 3D relief dans l’industrie cinématographique et son relatif succès reposent notamment sur une stratégie commerciale liée à la culture numérique. Car si la 3D n’est pas la révolution que l’industrie annonce incessamment, elle aura permis que s’achève la métamorphose numérique de l’économie du cinéma en favorisant (ou en imposant) la mise en place d’un écosystème relativement homogène. Mais la 3D relief reste néanmoins un bouleversement esthétique qui inscrit son histoire dans celle d’autres dispositifs audiovisuels.
S’interroger sur le phénomène de la 3D relief pour comprendre les effets esthétiques, économiques et sociologiques de son retour, suppose de la réintégrer dans une perspective englobant l’ensemble des inventions et des dispositifs qui ont contribué à élargir l’expérience cinématographique et à alimenter le mythe du Cinéma Total, « un cinéma dont le dispositif sera pleinement abouti1 ». Mentionnons à cet égard la couleur et le son, qui sont parvenus à incarner l’identité d’un cinéma institutionnel, mais également des expériences plus singulières qui furent caractéristiques de dispositifs toujours restés confinés dans le registre de « l’attraction » : l’odorama, le cinéma dynamique ou 4-D (mouvements et éléments naturels, vent et parfois pluie).
Cette histoire, qui l’on fait remonter aux dispositifs précinématographiques (Panorama, Diorama, Maréorama et autres spectaculaires inventions) et s’inscrit dans une quête toujours renouvelée pour accroître la vision, le cinéma va venir considérablement la dynamiser.
3D : cinéma élargi
Si le processus d’élargissement du dispositif cinématographique a toujours trouvé à se développer de façon considérable dans le domaine du cinéma expérimental et des arts plastiques au point que l’on identifie une part de ces pratiques sous l’appellation « Cinéma élargi2 » (ou Expanded Cinéma), le cinéma lui-même a accueilli les développements technologiques favorisant son expansion sensorielle avec plus ou moins de bonheur.
Dans ce registre, le développement du cinéma sonore, depuis les célèbres expériences de Gaumont (le Chronophone, 1902) et Edison (le Kinetophone, 1913), jusqu’à la mise au point du son optique et son institutionnalisation en 1927 avec The Jazz Singer d’Alan Crossland, constitue la première grande révolution technologique du cinéma. La couleur, quant à elle, dont le développement remonte aux expériences photographiques dans le domaine — notamment la trichromie mise au point par Charles Cros et Louis Ducos du Hauron dès 1869 et l’autochrome des frères Lumière en 1903 — s’est imposée au terme d’un long processus au moment même où le cinéma devait faire face à la concurrence de la télévision. Des premiers films peints à la main à l’invention du Technicolor dans les années trente, cinéma en couleurs et en noir et blanc ont toujours plus ou moins bien cohabité. Ce n’est que dans les années soixante, au moment où la fréquentation des salles commence à diminuer sous l‘effet notamment de la concurrence de la télévision, que la couleur va imposer sa différence et sa singularité à l’art du film. Au même moment, le cinémascope permettra d’élargir considérablement les dimensions de l’image pour accroître encore la singularité du cinéma et offrir aux spectateurs des sensations proches de l’immersion.
Immersion, réalisme et attraction : le triangle paradoxal
Le désir d’immersion participe d’une ambition réaliste de l’industrie du cinéma dont témoignent notamment les discours d’accompagnement des grandes inventions technologiques dans la lignée desquelles s’inscrit la 3D. Cependant, on entrevoit bien le paradoxe qu’il y a à considérer certaines inventions comme pouvant apporter un surcroît de réalisme. La 3D est de celles-là qui, dans sa volonté toujours renouvelée de briser le cadre de la représentation pour venir tutoyer le spectateur, brise le fragile équilibre qui s’était alors institué entre la surface bidimensionnelle de l’écran et le volume de la salle. Cependant, le son, la couleur, le relief et la profondeur ont participé à l’entreprise qui consistait à combler le manque dont souffrait l’image du cinéma par rapport à la vision naturelle3. Dans ce cadre, le son est sans doute l’invention la plus révolutionnaire quant à son apport et à l’ouverture d’un nouveau sens au domaine du cinéma, alors que la couleur reste, comme la 3D d’ailleurs, un agrément de la vision4. Mais l’Histoire retient également un très grand nombre d’inventions qui, si elles ont pu prétendre participer au surcroît de réalisme des expériences visuelles, se sont pour la plupart inscrites dans la lignée des attractions cinématographiques foraines.
Le cinéma dynamique qui désigne une projection cinématographique (et par extension l'espace où a lieu cette projection) accompagnée d'effets de mouvements réels sur les spectateurs qu’ils soient placés sur des sièges mis en mouvement ou embarqués sur une plateforme, s’est ainsi considérablement développé dans les parcs d’attractions dès la seconde moitié du 20e siècle. Très tôt néanmoins, certains dispositifs innovants avaient déjà été mis au point par des inventeurs, enthousiasmés par la perspective d’un « cinéma total ». Deux expériences présentées à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1900 à Paris permettent notamment de prendre conscience de ce mouvement inauguré dès le 18e siècle avec le Panorama. Le « Maréorama » (images ci-contre), qui reposait sur une structure proche de celle du Panorama de Robert Barker, proposait alors aux spectateurs de se tenir sur le pont d’un navire fictif agité de mouvements de tangage et des deux côtés duquel s’étendaient de grandes toiles peintes déroulantes qui dévoilaient progressivement certains sites de la côte méditerranéenne. À ce dispositif de voyage imaginaire s’ajoutaient des effets « naturels » tels que le vent produit à l’aide de ventilateurs qui venait balayer le pont du navire, faire vibrer les toiles et diffuser des senteurs marines5.
1 L’expression « Cinéma Total » recouvre, dans l’histoire du cinéma, différentes réalités. Dick Tomasovic a très bien montré, dans une récente intervention au Film Forum de Gorizia, que c’est sous la plume de René Barjavel qu’elle est née et qu’elle s’est exprimée avec le plus d'enthousiasme.
Le cinéma subit depuis sa naissance une évolution constante. Elle s'achèvera lorsqu’il sera en état de nous présenter des personnages en ronde bosse, colorés, et peut‑être odorants ; que ces personnages se libéreront de l'écran et de l'obscurité des salles pour aller se promener sur les places publiques et dans les appartements de chacun. La science continuera de lui apporter de petits perfectionnements. Mais il aura atteint, en gros, son état parfait. Cinéma total. René Barjavel, cité par Dick Tomasovic Dick, 3D cinema : Quelques reliefs du discours du « cinéma total », intervention au Film Forum de Gorizia, Université d’Udine, le 25 mars 2012. Université d’Udine, 25 mars 2012.
2 Pour une étude approfondie du cinéma élargi, voir : Youngblood Gene, Expanded cinema, Toronto/Vancouver, Clarke, Irwin & Company Limited, 1970.
3 Natural Vision est d’ailleurs le nom donné en 1951 à une technique de reproduction 3D par Julian et Milton Gunzburg.
4 À ce sujet, il est intéressant de remarquer que l’industrie pratique avec certains films une « dimensionnalisation » (le « gonflage » en 3D de Titanic en est un exemple) de la même manière que l’on pratiquait à l’époque la « colorisation » de films en noir et blanc. Cette pratique, pour la couleur, était symptomatique d’une conception du noir et blanc comme défaut voire sous produit de la vision réelle, au plus total mépris des ses effets esthétiques.
5 Le guide français de l’Exposition Universelle de 1900 précise que les toiles peintes sont l’oeuvre du peintre des chemins de fer Hugo d’Alési et que le bâtiment qui abrite l’attraction se situait à l’angle de l’Avenue de Suffren et du Quai d’Orsay.
Anonyme, Guide de l’exposition de 1900, Paris, 1900, pp. 356.