3D, cheval de Troie du numérique ?
Comment interpréter dès lors l’éternel retour de la 3D relief au cours de l’histoire8, ses abandons successifs et surtout son apparent succès dans la première décennie du 21e siècle. Il semble que si la troisième dimension n’est pas la révolution esthétique que certains annoncent depuis un moment déjà, sa réapparition a néanmoins permis de transformer le cinéma en profondeur. L’argument commercial de la nouvelle 3D reposait en effet sur une technologie plus légère, plus stable et plus performante du fait du développement de la chaîne numérique en matière de production et de diffusion cinématographique. À vrai dire, les problèmes liés aux premières expériences de cinéma en 3D sur pellicule 35mm étaient nombreux. Il fallait d’une part deux projecteurs minutieusement synchronisés pour garantir un résultat impeccable lors de ces projections en 35mm. Outre des problèmes liés aux coûts de production et de diffusion, la stabilité du système était également pointée du doigt dès lors qu’un micro-décalage entre les deux projecteurs ruinait définitivement tout effet de troisième dimension. Ainsi, la mise sur le marché de projecteurs numériques associés aux copies sur disque dur a considérablement favorisé le retour de la 3D. Mais il serait faux de croire que l’effet d’entrainement du cinéma numérique et de la 3D s’inscrit exclusivement dans cette perspective. En effet, le retour de la 3D au début des années 2000 a permis à l’industrie d’imposer aux exploitants une migration rapide vers le nouvel écosystème numérique.
La 3D serait-elle alors le cheval de Troie du numérique ? À coup sûr. Le développement du cinéma numérique représente pour l’industrie une possibilité exceptionnelle de diminuer les coûts liés à la fabrication des copies et à la distribution. On constate désormais que le prix de fabrication d’une copie numérique est dix fois inférieur à celui d’une copie 35mm, sans compter la possibilité de mettre en place des serveurs délocalisés limitant le nombre de copies en circulation. Cette perspective financière ne pouvait alors se réaliser qu’à condition de faire migrer rapidement l’intégralité du parc de salles de cinéma vers les systèmes numériques. Et c’est là que la 3D intervient en imposant tacitement aux exploitants de réaliser cette conversion. Car on se souvient en effet de l’affaire UGC qui, ayant refusé en 2009 d’équiper ses salles avec du matériel compatible 3D numérique, avait vu lui passer sous le nez le formidable engouement du public pour la version tridimensionnelle d’Avatar.
Depuis cette date, les exploitants européens se sont engagés dans un processus de numérisation de leurs installations, cependant que, dans le même temps, le cinéma en 3D perdait petit à petit de son intérêt auprès des spectateurs. Mais le principal semble fait pour l’industrie qui peut aujourd’hui entrevoir de diminuer drastiquement les coûts de distribution des films dans un système pratiquement intégralement numérisé. Ceci dit, certains mécanismes se sont mis en place afin d’aider les exploitants indépendants à emboîter le pas de la numérisation. Le système Virtual Print Fee, processus de mutualisation alimenté par les recettes supplémentaires engrangées par les distributeurs, doit permettre aux petits exploitants de s’équiper à moindre coût et d’achever la métamorphose de l’industrie cinématographique.
C’est donc à ce titre que la 3D est révolutionnaire, ayant fait basculer en moins de 10 ans le cinéma dans le champ du numérique, vecteur de transformations radicales tant sur le plan esthétique que sociologique. Il reste aujourd’hui à étudier en profondeur ces bouleversements et à attendre que la technique continue de questionner le cinéma dans son identité même.
Jonathan Thonon
Mars 2012

8 Voir notamment le texte de Renaud Grigoletto pour une histoire de la 3D au cinéma.
Page : précédente 1 2 3