Lorsque les premiers spectateurs du cinématographe – cette invention merveilleuse qui ferait des frères Lumière les inventeurs attitrés du cinéma – s'émerveillent de découvrir dans les salles obscures le bruissement imperceptible des branches dodelinant harmonieusement sur la toile blanche tendue en guise d'écran, c'est le mouvement, celui de la vie même, qu'ils célèbrent. Nous sommes le 28 décembre 1895 et cette première projection publique marque la consécration de nombreuses années de recherches, avancements et tâtonnements, expérimentations et frustrations, guerre de brevet et collaborations, que les deux célèbres frères viennent finalement mettre en lumière, pour avoir été les plus rapides ou, tout simplement, les plus habiles à dompter le feu des projecteurs.
D'un point de vue technique, la « 3D » au cinéma n'est donc pas nouvelle. Pas plus qu'au niveau de son utilisation commerciale, au contraire de ce que voudraient laisser penser les discours promotionnel et publicitaire, sous l'impulsion du géant hollywoodien. Les Avatar, Hugo Cabret et autres Alice in Wonderland n'ont donc pas la primeur, même s'ils voudraient en avoir les honneurs. L'histoire de Hollywood et de la « 3D » (appellation commerciale autant que accommodante) pourrait donc se résumer à une succession de « vagues », caractérisées par le nombre croissant des films produits en « trois dimensions ». Un enchaînement de succès et d'insuccès, liés tant à la technologie qu'au public qui la reçoit, ou la lente adaptation de l'un à l'autre.
Première vague
Les années 1920 voient débarquer un certain nombre de films en relief produits à Hollywood. Plusieurs noms célèbres de l'époque se frottent aux techniques connues. Parmi eux, Edwin S. Porter, fameux réalisateur de The Great Train Robbery (1903), à qui l'on doit une projection privée à l'Astor Theater de New York, le 1er juin 1915 : elle fait forte impression et semble annoncer, comme le suggère la critique, une « nouvelle ère dans le réalisme au cinéma »1. Suivront des titres comme The Power of Love ou encore Mars on Radio Mania, tous deux sortis en 1922, mais aux procédés très différents : le premier utilise le principe bien connu de l'anaglyphe tandis que le second fait appel au Teleview, une invention qui semble dérisoire en regard de la technologie dont nous disposons aujourd'hui (et que l'on doit à Laurens Hammond, probablement mieux connu des musiciens pour ses Hammond Organs).

Deuxième vague

Hollywood connaît une explosion dans la production de films en « 3D » (plus de cinquante) entre 1952 et 1955 ; les sociétés de production investissent en masse dans ce qui semble alors être un filon intarissable. Citons par exemple The Creature from the Black Lagoon ou Bwana Devil, réalisé en 1952 par Arch Oboler et considéré par certains comme le premier long métrage sorti en relief et en couleur (en «Natural Vision», devrions-nous dire). C'est une de ces projections qui sera immortalisée par le Life Magazine dans une photo très célèbre du public portant ses lunettes dédiées.
C'est également à cette époque que sort Dial M for Murder d'Alfred Hitchcock (Le crime était presque parfait, en français) que l'on ne connaît plus aujourd'hui qu'en version « 2D » (un titre qui rappelle vaguement le troisième volet des Audioscopiks produits par la MGM dans les années 1930 et 1940, intitulé Third Dimensionnal Murder et projeté, comme son nom l'indique, en « trois dimensions »). La position du maître du suspense est révélatrice de l'emballement des studios, qui n'y voient guère plus qu'un intérêt commercial (sans doute confortés par le succès au box office de House of Wax, sorti peu de temps auparavant). Hitchcock accepte timidement de réaliser son film en relief, pour lequel il n'a que peu d'intérêt. Il y voit tout au plus un moyen de se libérer de la pression des studios afin de jouir d'une plus grande liberté. Le réalisateur se détourne des clichés liés à la « 3D » et, plutôt que de jouer avec les effets divertissants du surgissement hors de l'écran, préfère en retirer un jeu subtil sur la profondeur de champ. Comme il l'avait anticipé, son film sort au moment même où l'engouement pour ces effets de relief commence déjà à s'essouffler. Au final, le film ne sortira que dans quelques rares salles fréquentées par des spectateurs sans doute plus ennuyés qu'autre chose par les lunettes qu'ils se voient contraints de porter. La technologie inaboutie, éprouvante ou défaillante semble être un des freins dans l'élan du public vers les salles équipées en cinéma stéréoscopique. Il suffit de recueillir les réactions des spectateurs actuels après leur première rencontre avec les lunettes qui, aujourd'hui, se font non plus anaglyphiques mais actives ou, plus récemment, passives (filtres polarisants). Si le confort des lunettes modernes est vanté, il n'éteint pas le souhait profond de rendre possible une image tridimensionnelle sans lunettes (autostéréoscopique).

Troisième vague

Au cours des années 1980, l'industrie cinématographique marque un léger regain d'intérêt dans sa production de films en relief, avec des titres comme Comin' at you ou Jaws (Les dents de la mer, en français). Ce retour en grâce s'ajoute aux tentatives de studios d'agrandir la taille de l'écran, afin de favoriser l'immersion du spectateur. Dans leur prolongement apparaîtront, par la suite, les écran IMAX et autres variantes, qui équipent certaines salles, souvent plus proches de l'attraction ou du parc scientifique que du cinéma proprement dit. Au cours de son histoire, la « 3D » semble finalement se cantonner à des domaines pédagogiques, scientifiques ou de divertissement plutôt que dans le cinéma traditionnel, où elle se fait intermittente et davantage destinée aux films de genre ou à sensations. Au cinéma, le relief se fait incessant mais inconstant.
Quatrième vague ?
Quelles que soient les périodes, quelles que soient les technologies, quatrième vague ou pas, ces films en « 3D » semblent toujours vendus au spectateur pour les sensations inédites qu'ils sont censés procurer. Nombreuses sont les affiches qui jouent sur l'idée d'un écran plus ou moins flottant, d'un effet de surgissement saisissant vers le spectateur. En écho, sans doute, à cette vue des frères Lumière déjà citée qui, légende ou pas, aurait provoqué, dans sa version originale (et la plus plate), l'effroi des premiers spectateurs, saisis par l'effet de perspective à la vision d'une locomotive fonçant droit sur eux.
Renaud Grigoletto
Mars 2012
Renaud Grigoletto est chercheur FNRS au département des Arts et Sciences de la Communication de l'ULg. Sa recherche doctorale porte sur le relief au cinéma et dans les arts visuels.
1 Moving Picture World, 26 juin 1915.
Renaud Grigoletto est Aspirant-FNRS au département des Arts et sciences
de la communication de l'ULg. Sa recherche doctorale porte sur le relief
au cinéma et dans les arts visuels.