Pour qui prête ne fût-ce qu’une attention très relative au paysage musical belge, le groupe Dan San est tout sauf inconnu. Signés sur le label PIAS, ces Liégeois liés à l’excellent collectif Jaune Orange s’étaient fait remarquer en 2010, à la sortie de l’élégant Pillow. En sept morceaux oscillant entre psalmodies folk (comme sur le titre éponyme et liminaire de ce mini-album) et envolées pop-rock à la Simon & Garfunkel (comme l’efficace Leaders, diffusé en boucle sur la radio Pure FM), cet EP se distinguait déjà par son niveau de finition et confirmait la bonne impression que le groupe avait laissée en assurant les premières parties de Beirut et Bat for Lashes. Depuis lors, Dan San a eu l’occasion de mettre ses premières réalisations à l’épreuve du public en jouant sur à peu près toutes les scènes du royaume, et de commencer à se tailler une solide réputation : pressenti comme l’un des grands espoirs de la scène rock belge, le groupe, au moment de présenter son premier album, était donc attendu au tournant.
Sobrement intitulé Domino, celui-ci est composé de treize titres qui, sous une apparente simplicité, révèlent une grande qualité de composition et de réalisation, confirmant rapidement la réputation de ciseleurs des Liégeois. Le premier morceau de l’album, Moon, place déjà la barre très haut : l’introduction est pleinement réussie, qui permet à chaque instrument de prendre progressivement sa place, avant que les voix, idéalement complémentaires (l’une basse, l’autre quelquefois pratiquement contraltiste), de Thomas Médard et de Jérôme Magnée, tous deux également guitaristes, ne se mêlent harmonieusement dans la reprise litanique d’une phrase unique : « We are lost in the dark room ». Dan San, pourtant, ne donne jamais l’impression d’être perdu au long de cette livraison très mûre, émaillée de titres élaborés de façon parfois complexe mais jamais pédante (comme le post-folk The End of the day Part II), mais laissant également la place à de véritables singles en puissance – comme ce Question marks, déjà largement diffusé sur les ondes belges, ou Heavy mist. À souligner, au cœur de cet ensemble harmonieux, la batterie de Benoît Huvelle (dernier débarqué dans une formation qui s’était jusqu’alors contentée de timides percussions), qui permet de donner du coffre à Reality ; et l’apport incontestable du violon de Damien Chierici (qu’on retrouve également dans Yew et My Little Cheap Dictaphone), qui porte habilement le morceau The Shade et qui, çà et là, donne à l’ensemble des accents d’Arcade Fire.
À jouer le jeu des comparaisons, on ne s’étonnera pas trop du fait que, dans les comptes rendus ayant jusqu’ici accompagné la sortie de Domino, certaines similitudes avec les Girls in Hawaii soient fréquemment avancées. Le rapprochement, au vrai, fait sans doute moins sens au point de vue directement mélodique qu’en ce qui concerne la manière d’appréhender ce dernier : du côté de Dan San, l’héritage musical rappelle beaucoup plus franchement les Américains de Fleet Foxes que les rockeurs Brainois, mais on trouve, chez les deux groupes belges, une pareille disposition au raffinement sans afféterie et à la délicatesse sans mièvrerie, autant qu’une précieuse capacité à faire alterner les ambiances intimistes (en mode feu de camp ou presque) et les orchestrations ambitieuses. Car il faudrait encore préciser que, si la musique de Dan San est assurément séduisante en version studio, elle revêt une dimension supplémentaire lorsqu’elle est jouée en live : le groupe en est d’ailleurs bien conscient, qui s’est empressé de partir défendre Domino sur scène, au cours d’une petite tournée inaugurée, après quelques concerts intimistes et privés, le 24 janvier lors d’une Release party au Centre culturel de Chênée. C’est dans ce cadre-là, avec les accompagnements vidéo de Simon Médard (qui avait réalisé le clip quasi-Monty Python de Pillow), qu’on apprécie au mieux un titre comme The Wind en plus de pouvoir goûter les réaménagements de premiers morceaux comme Irony. Mais le mieux est sans doute d’aller y voir par soi-même.
http://www.youtube.com/watch?v=YMkcoTX4JDc (vidéo de Question marks)
http://www.youtube.com/watch?v=4ZCcGwNxQgk (vidéo de Pillow)
Denis Saint-Amand
Février 2012

Denis Saint-Amand est aspirant F.N.R.S. à l'Université de Liège. Ses recherches portent sur la littérature française du 19e siècle et sur la sociologie de la littérature.