De l'Île au monde et du monde en Îles
« Je suis né en terre étroite » écrit celui que l'on situe aujourd'hui parmi les tout grands poètes de l'île Maurice. Rien pourtant ne paraît plus étranger à l'homme et au poète que cette notion d'étroitesse qu'il utilise pour qualifier son origine. Ou alors faut-il comprendre que la première de ses « désobéissances au malheur » aura été, en tournant le dos à la langue officielle de sa République insulaire, de se lancer dans la langue française comme on se lance à la mer, non pour renier mais, au contraire, pour aimer d'un amour d'exil son « Île -racine » et la transfigurer par les pouvoirs de la parole poétique ? Certes, oui. Il s'agit de dire, et ce, infiniment, l'amour, la femme, la terre, la mer, la mort, le Père, pour mieux dire le monde des « Îles solstices » et l'homme métis, puisque l'on est soi-même fils du Créole, « lui-même petit-fils de coolies venant des Indes » . C'est pourquoi la langue poétique d'Édouard Maunick se veut « ensauvagée jusqu'au cri de l'image capricorne », parole avant écriture, lieu de métissages langagiers et littéraires, usant tout autant de la langue-colère de l'Antillais Césaire que de la noblesse héritière de l'Africain Senghor. Principalement certes, car il y a aussi tant d'autres voix rencontrées et privilégiées comme sillages sur la mer : Rimbaud, Pierre Emmanuel, Saint-John Perse, Richard Wright, Dylan Thomas, L. Milosz, Lorca, Damas, Tchicaya...
Joseph Marc Davy Maunick, dit Édouard (J.) Maunick est né à Flacq dans l'Île Maurice, le 23 septembre 1931. Diplômé du Teachers' Training Collège, il enseigne de 1951 à 1958, puis devient bibliothécaire en chef à Port-Louis, la capitale. En 1954, il publie son premier recueil de poèmes en langue française, Ces oiseaux du sang, où il exprime sa vérité déchirée. « Ces oiseaux du sang/ ce sang propre à la nuit comme une racine,/ cette nuit étouffée entre deux lumières...[.] Je dirai que les tropiques ont évaporé mon sang. Qu'il ne me/ reste plus que le mensonge du poème. » Mais aussi : « Je dirai que les tropiques m'ont pris en otage./ Le poème seul me délivre ./ J'en ai fait un chant d'esclave qui ronge ses chaînes » .
En 1960, année des indépendances africaines, Édouard Maunick quitte l'île Maurice pour Paris, amorçant une triple carrière de critique, de journaliste culturel, et d'homme public. Il publie divers articles, dont un sur Césaire (1963), un autre sur Tchicaya U'Tam'si (1964), participe à la revue Présence africaine et produit, d'une seule foulée, plusieurs recueils de poèmes parmi les plus importants de son œuvre (qui en comporte plus de vingt à ce jour) :
Les Manèges de la mer (1960-1964) : « Je ne suis pas parti pour oublier/ je suis métis/ la mer indienne jamais ne cèdera à la cité d'aujourd'hui » ;
Mascaret ou le livre de la mer et de la mort (1966) : « J'habite la mer pour défendre le moi-pays »
Fusillez-moi (1968-1969) : « D'une île ossement/....d'une île cicatrice/... La mer la mer toujours me racontera debout (...) »
Dès alors, il adhère au discours des frères en poésie qui sentent battre en eux le flux de l'Outre-Mer et il intègre les mots de l'antériorité littéraire de la négritude des plus grands (Césaire, Senghor,...) en accomplissant, Jusqu'en Terre Yoruba... (1970), les voyages symboliques vers le Continent noir, afin de réapproprier les mots, les saveurs, de se découvrir « nègre de préférence » et trouver « les mots-racines rebelles » pour formuler à son tour sa révolte des humiliations de l'Histoire.
La production de cette première décade, pour être d'abord marquée par la rencontre avec la négritude, trouve son originalité dans la passion incessante du poète à trouver son chant intime, contrepoint nécessaire à l'expérience multiple que mène par ailleurs l'homme public. Le dire de l'écriture, intimement, rythme sa « seule vraie légende ».
Durant ces années 60, il est Directeur de Radio Caraïbes Internationale à Sainte-Lucie. En 1962, il rencontre Senghor, Aimé Césaire et Alioune Diop. Il collabore avec la Société Africaine de Culture (SAC) et, avec Pierre Emmanuel, organise en 1964 le Colloque des Écrivains négro-africains, américains et européens dans le cadre du Festival de Berlin.
Dans la décennie 70, il crée et produit chaque semaine des émissions radiophoniques dans Le Magazine de l'Océan Indien et La Bibliothèque du Tiers-Monde, diffusées en Afrique francophone et en Océan Indien. Il co-anime Le Forum des Arts, émission bimensuelle télévisée sur Antenne 2 Paris, de 1976 à 1977, produite par André Parinaud. En 1975, il organise et anime la Rencontre des Poètes de Langue française, co-présidée par Léopold Sédar Senghor et Pierre Emmanuel à la Fondation d'Hautvillers. Cette période marque également une plus grande implication de sa part dans la francophonie culturelle et technique qui n'est pas encore l'institution politique que l'on connaît aujourd'hui.