Māra Zālīte

Dans le recueil Environs, plusieurs poèmes ont pour titre Ainsi parlait..., non pas Zarathoustra (comme chez Nietzsche, dont la théorie de l'Übermensch n'est pas du goût de l'auteure) mais divers personnages du quotidien ou lieux modestes personnifiés. Ainsi parlait la grive dorée est un chef-d'œuvre du genre car il met en scène l'artiste écartée de la société parce qu'elle semble ne pas vouloir prendre part aux travaux de la communauté (comme ici les animaux occupés à creuser la Daugava, un des grands fleuves de la Baltique). Elle a peur de se salir, oui. Sa beauté (sa belle robe dorée) et son chant jouent un rôle, et non des moindres, mais ce chant et cette beauté n'ont pas leur place dans une société qui se vautre dans ce que Marguerite Yourcenar décrivait comme l'alternance de tâches pénibles et de plaisirs faciles. Pour pénitence, la grive dorée sera privée d'eau et ne pourra étancher sa soif que parcimonieusement, grâce à quelques gouttes de nectar déposées, par le dieu qui prend pitié d'elle, dans le calice d'une fleur. C'est pourquoi elle chante pour appeler la pluie. En letton, la grive dorée se dit valodze, alors que valoda signifie la langue, en l'occurrence la langue lettone, belle et colorée mais « mise de côté ». En effet, comme presque toujours sous les régimes forts, bien des poèmes sont codés, que l'auteur(e) le veuille ou non, et le public les reçoit comme un encouragement à la résistance.

Poète lettone, Māra Zālīte entretient avec la nature une authentique complicité. L'eau, symbole de vie, éclate dans toute sa splendeur dans le poème Riga dans l'eau. Dans Ainsi parlait l'étang, la poète donne la parole aux humbles : l'étang, qui semble si peu de chose à côté des grands fleuves et de l'Océan, est source de richesses insoupçonnées – comme le mērītais,‘mesureur', cet insecte (guerri palustre) connu chez nous surtout par le célèbre poème de Guido Gezelle4. Et là, bonheur de la poète-traductrice, l'auteure demande d'introduire dans la version française ce qui lui semble maintenant l'aboutissement de son poème : Māra Zālīte se reconnaît dans le petit scribe.

fleurit

Voici pour terminer, en guise d'échantillons, deux courts poèmes avec leur traduction française :

Saules pusē

Protams, es apliecināšu Sauli.
Protams, es būšu Saules pusē.
Protams - pa Saules laukumiņiem.
Protams - gaisma, siltums un dzīvība,
Nevis tumsa, aukstums un nāve.


Protams, es būšu Saules pusē.


Tiklīdz es noskaidrošu, kurš
No šiem spīdekļiem
Ir Saule.

 

Côté Soleil

Bien sûr, je témoignerai du Soleil.
Bien sûr, je serai côté Soleil.
Bien sûr... Je suivrai les signes du Soleil.
Bien sûr... La lumière, la chaleur, la vie,
Et non la nuit, le froid, la mort.

Bien sûr, je serai côté Soleil.

Quand je verrai clairement
Lequel de ces soleils
Est Le Soleil

Iesim paklejot dārzā...

Iesim paklejot dārzā
(ap Mēnesi šovakar dārzs)
un iesim mēnesnīcā
iedzert tasīti mēness.

Visums lai griež savu leijerkasti.

Tu man debesu asteri nopirkši
no kādas puķu pārdevējas.

Līksimies nezinām,
ka viņu sauc Nāve,
un dosim tai tik,
cik tā prasīs.

Allons flâner dans ce halo...

Allons flâner dans ce halo
que la lune a mis au jardin.
Allons ce soir dans le jardin
déguster une coupe de lune.

L'orgue de l'univers tourne sa manivelle.

Tu m'achètes au ciel une stellaire ?
Cette fleuriste a un drôle d'air.

Faisons comme si nous ne savions pas
que son nom est La Mort
et donnons-lui ce qu'elle voudra
quoi qu'elle demande encore.

Extraits de : Māra ZĀLĪTE, Viss reizē died. Et soudain tout fleurit. Anthologie personnelle établie par l'auteure à partir des recueils

Apkārtne (Environs) et Notikumi (Événements), édition bilingue, traductions du letton en français par Rose-Marie François et Astra Skrābane en collaboration avec l'auteure, édit. Jūmava, Rīga 2011.

Rose-Marie François
Février 2012

crayongris2

Rose-Marie François  est poète, philologue polyglotte, romancière, rhapsode. Ses œuvres sont traduites dans une douzaine de langues. Elle est maître de conférences à l’ULg en traduction littéraire, spécialement en poésie. Elle est docteur honoris causa de l’Université de Lettonie.

Site web  : www.RoseMarieFrancois.eu




4 Guido Gezelle, poète flamand (1830-1899) appelle cet insecte het schrijverke, « le petit scribe », car il semble toujours « en train d'écrire, récrire et encore écrire, le saint nom de Dieu » : Wij schrijven, herschrijven en schrijven nog,/ den heiligen Name van God.

Page : précédente 1 2