Hans Faverey

De la dynamique du mouvement dans la poésie de Hans Faverey

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« Mijn poëzie is geen poëzie van betekenissen maar van beweging » (Ma poésie n'est pas une poésie de significations mais de mouvement). Le ton est lancé. Dans l'une des rares interviews qu'il a accordées à la presse, le poète néerlandais Hans Faverey (1933-1990) résume en une phrase la quintessence de son oeuvre. D'emblée, il met l'accent, non pas sur une poésie descriptive ou sur l'expression de sentiments personnels, mais bien sur une dimension qui lui tient particulièrement à coeur : le mouvement. Il traduira cette notion de différentes façons dans les  recueils qu'il publiera entre 1968 et 1990.

Hans Faverey considère la langue comme un laboratoire où toutes sortes d'expérimentations sont possibles et permises. Un jeu subtil de variations et de répétitions  de lettres, de sons ou de mots crée un mouvement sur la feuille blanche où le poème existe par et en lui-même sans référence au monde extérieur. Grand amateur de musique et d'ailleurs musicien lui-même, Hans Faverey consacrera plusieurs poèmes (toujours présentés sous forme de 'séries') à des musiciens ou compositeurs d'époques ou d'inspiration diverses (F. Couperin, G. Cavazzoni, T. Bruins, G. Leonhardt,...). Ses poèmes sont conçus comme des compositions musicales : les sons en guise de notes, identiques et pourtant différents selon l'octave ou le ton. Le poème ci-dessous extrait de la série Man en  dolfijn/mens en dolfijn illustre cette tendance.

Ball ; say : ball.

(Bal ; zeg : bal).
Je moet ‘bal' zeggen.
Dolfijn, zeg eens bal.
B/a/l: bal. Hé,

Dolfijn, zeg nou eens ‘bal'.

En 1977, Hans Faverey publie Chrysanten, roeiers, son troisième recueil qui lui apportera la reconnaissance de ses pairs et du public. Au total, il en publiera huit dont le dernier Het ontbrokene paraîtra peu avant sa mort en 1990. La poésie restera tout au long de sa vie son seul mode d'expression. Le poème ‘De chrysanten', l'un de ses textes les plus célèbres, traduit son amour du paradoxe et son intérêt pour  les philosophes pré-socratiques Zenon et Héraclites.

De chrysanten,
die in de vaas op de tafel
bij het raam staan : dat

zijn niet de chrysanten
die bij het raam
op de tafel
in de vaas staan.

De wind die je zo hindert
En je haar door de war maakt,

dat is de wind die je haar verwart;
het is de wind waardoor je niet
meer gehinderd wilt worden
als je haar in de war is.

Ce poème illustre lui aussi la notion de mouvement : on y retrouve les variations et répétitions décrites plus haut. Elles traduisent ici une évolution, un processus qui reflète l'action destructrice du temps. D'instant en instant, les fleurs changent, se flétrissent. Le temps les altère et les précipite vers leur fin. Hans Faverey fait écho à la célèbre citation « Panta rhei, ouden menei » (Tout passe, rien ne reste) du philosophe pré-socratique Héraclite. Faverey revisite à sa façon l'idée d'un monde en perpétuel changement et la combine dans la deuxième partie du poème à la notion d'identité immuable prônée par Zénon, un autre philosophe grec. C'est précisément cette tension entre les deux conceptions opposées qui intéresse Hans Faverey. Sa poésie est une poésie de contraires qui s'attirent, de mouvements entre deux pôles (la vie et la mort, le monde minéral et végétal, ...)

Sur base des thèmes qui viennent d'être évoqués, Hans Faverey tisse également des liens avec d'autres textes ou avec l'œuvre d'autres artistes. Ces références intertextuelles sont nombreuses et à première vue très disparates mais elles alimentent toutes la thématique de base. D'une part, les références à la mythologie grecque sont légion. Adolescent, Faverey bénéficia d'une formation de qualité et soulignera lui-même le rôle prépondérant joué par son professeur P. van Delft qui l'initia à l'histoire, la philosophie et la symbolique du monde antique. D'autre part, l'auteur ne cache pas son admiration pour des écrivains avant-gardistes tels que Paul van Ostaijen ou Remco Campert. Il leur dédie plusieurs poèmes soit sous la forme d'une dédicace explicite ou en intégrant certaines caractéristiques de leur écriture dans ses propres textes.

(Aardbeien, Mauritshuis)
aardbeien

Souvent catalogué comme l'un des poètes intellectuels de sa génération, Hans Faverey franchit plusieurs fois les frontières qui séparent les différentes formes artistiques. Les peintures ou gravures d'artistes presque oubliés ou dont l'oeuvre n'a été que partiellement transmise aux générations suivantes sont pour lui une autre source d'inspiration. Il explore par exemple le thème de la nature morte, typique du siècle d'or hollandais, le dix-septième siècle, et l'adapte à ses thèmes de prédilection, la fragilité et la fugacité des choses. De nouveau, le lien entre le poème et l'oeuvre picturale n'est ni mimétique, ni basé sur l'expression de sentiments personnels. Dans le poème ci-dessous inspiré par une peinture d'Adriaen Coorte, un peintre hollandais du dix-septième siècle, Hans Faverey combine avec virtuosité le fond et la forme. Les premiers vers complètement décontextualisés placent le lecteur devant un grand point d'interrogation. On y retrouve dès la première strophe le jeu phonique évoqué précédemment mais le lien avec la peinture décrite n'apparait que plus tard avec le mot 'schelpen' (coquillages). On notera aussi la grande sobriété de la langue qui reflète la simplicité et le dépouillement typiques des natures mortes de Coorte. Les allusions intertextuelles ou l'utilisation d'autres formes d'expression artistiques (appelée aussi intermédialité) témoignent d'un mouvement d'ouverture vers le travail d'un artiste apprécié par l'auteur suivi de l'intégration des différents éléments observés et perçus en un nouvel ensemble qui permet la survivance symbolique de l'œuvre évoquée mais bien sûr également celle du poète néerlandais lui-même.

 

Uit zich voortgekomen

coorte

Door zichzelf omstuwd;
omstold;
en weer ontstold.

Alsof dat boek waar het alles
in staat mij nog nooit
uit handen was gevallen.

Daar liggen ze, de schelpen;

zo toont de aardbei haar bloeiwijze.

Op sommige vruchten hoort een vlieg;
de toekomst bleef
even onveranderlijk als nu.

                                                                                                            
Stilleven met schelpen

 

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Soulignons que l'intérêt que Hans Faverey portait à d'autres artistes ne se limitait à l'art néerlandais ou flamand. Stevens Wallace, Mallarmé, le mystique allemand Maître Eckhart et même la tradition orale du Suriname, son pays d'origine, nourrissent également sa réflexion et son imaginaire.

Décontextualisation,  références limitées ou inexistantes au monde extérieur, autonomie du poème qui existe par lui-même, les conditions de l'abstraction sont réunies. Parfois même à l'extrême : lors de la parution des deux premiers recueils (Gedichten (1968 ) et Gedichten 2 (1972), la critique est mitigée et peu enthousiaste. Ces poèmes sont perçus comme particulièrement hermétiques et obscurs. Heureusement, les recueils ultérieurs seront plus accessibles même si Faverey reste un auteur exigeant à cause des évocations par petites touches de la réalité d'un poème souvent basé sur un processus de construction et de déconstruction ou de tension entre deux paradoxes. Le lecteur est parfois soumis à rude épreuve mais  tout qui se donnera la peine de pousser la porte découvrira  un monde subtil et tout en finesse.

Véronique Dieu et Erik Spinoy
Février 2012

 

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Véronique Dieu est doctorante en littérature néerlandaise. Ses recherches portent sur l'intertextualité dans l'oeuvre du poète néerlandais Hans Faverey.

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Erik Spinoy enseigne la littérature néerlandaise et la théorie littéraire à l'Université de Liège.