La substance du deuxième livre, Juin (2011), est tout sauf abstraite. Il y est question de bonbons, de chapeaux, de beurrier et de confitures, de lingerie, de corde à linge, de profiterolles, de cretonne, de cassonade. C'est que son personnage, auquel à nouveau la poète s'adresse d'un bout à l'autre, est une grand-mère aimante, attachante, sensuelle, ancrée dans le réel, mais la tête dans le rêve. Toute une enfance est évoquée à travers le souvenir d'une affection (tu avances / toujours / tu viens vers moi), et les gestes et mots de la grand-mère.
La touche du poète-peintre se précise et s'enrichit. Et si c'est à nouveau la vue qui domine, la poésie convoque tous les sens, qui sans se mêler, se répondent en riches synesthésies :
la vue et l'odorat :
les taches roses des fleurs
au-devant de toi
l'odeur des pétales froissés
la vue et l'ouïe :
tu dis c'est moi
ta voix claire
c'est moi
la lumière vient
entre les branches
la lumière te regarde
la vue, l'ouïe et le toucher :
un ciel très bleu
le chant de deux merles
à l'ombre des peupliers
dans la balancelle
tes doigts rêvent sur tes perles
le toucher :
ta main chiffonne
le satin clair
le satin clair et la soie tendre
ta main ensuite
dans mes cheveux
le goût, l'ouïe et la vue :
la serveuse en tablier rond
pose devant toi
tes profiteroles
dans un léger tintement
de porcelaine
Ici, tout un art subtil de l'image s'exerce, en un passage fréquent de l'image-vue à l'image-figure, de la notation à la métaphore :
des frémissements d'ombre
nagent au sol
des poissons de lumière
éclairent tes yeux
ou à la métonymie :
dans l'herbe
ton journal ouvert
sur le ventre
fait la sieste
Cette pratique du mot juste se contente de phrases simples, souvent nominales : nommer les choses pour les faire voir et sentir suffit. Ce qui peut être un tic d'écriture facile et rebattu chez d'autres trouve chez Corinne Hoex toute son efficience : la fixité et la mobilité du souvenir, sa fragmentation et sa densité, émergent mieux à travers ces notations sans verbes, que d'ailleurs le lecteur supplée sans peine :
un bruit de papier froissé
la chatte aux pattes blanches
Souvenirs, émotions, affection, vécus et revécus dans une sensualité intime et solaire, tout se dit avec la même sobriété :
juin
c'est toujours juin
quand tu es là
En somme, la fin du livre dit tout cela en deux vers :
ce souvenir tout à fait net
dans cette parfaite lumière
Vient de paraître une nouvelle plaquette, aux éditions Bruno Doucey (décembre 2011). Rouge au bord du fleuve poursuit le même parcours poétique avec les mêmes éléments : choix d'un thème unique et neuf, même économie des moyens linguistiques. À nouveau, dans leur simplicité, des phrases telles que « les arbres inclinent leur ombre / sur l'eau noire / de la nuit » ont un pouvoir évocateur proportionnel à leur économie.
Trente-trois très courtes laisses déploient presque elliptiquement la confrontation de la locutrice avec un fleuve « grondant », par une nuit « belle et terrible », battue par un vent « fou ». La locutrice traverse la peur, avec pour talisman, métaphore et métonymie de la lumière, une écharpe rouge (tu portes l'écharpe rouge / qui sauve la lumière) :
le vent fouette les arbres
fait tourner la poussière
et tu fermes les yeuxdans l'île avec le vent
Une île puis une ville, croisées, matérialisent le désir de la locutrice, qui peut davantage s'identifier au fleuve :
une île
la soif du fleuve
sertie dans son étreinte
Car c'est bien de désir et de fusion qu'il s'agit, bien plus que de contemplation. Au terme d'un parcours qui aura inclus perception et immersion, les trois dernières strophes le disent sans détours :
alors tu ferme les yeux
et tu es le vent
qui broie les platanes
soulève la poussièretu fermes les yeux
et tu es le fleuve
son grondement
sa soif
son odeur de bouetu fermes les yeux
car tu es la nuit
le noir de la nuit
qui confond
les terres
les eaux
et les airs
Il n'est pas si fréquent qu'un romancier – une romancière – atteigne une telle originalité et une telle unité poétiques, à fortiori quand sa diction paraît se distinguer si nettement du ton romanesque. Mais gageons qu'une expérience d'écriture a forcément nourri l'autre.
Gérald Purnelle
Février 2012
Gérald Purnelle mène ses recherches dans le domaine de la métrique, de l'histoire des formes poétiques et de la poésie française moderne et contemporaine.
Corinne Hoex, Contre jour, Le Cormier, 2009.
Corinne Hoex, Juin, Le Cormier, 2011.
Rouge au bord du fleuve, Bruno Doucey, 2011.
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