A Dangerous Method : le monde est une clinique

A Dangerous Method confirme plus que jamais la capacité de David Cronenberg à réinvestir les genres cinématographiques et les « contaminer » par ses obsessions et ses motifs de prédilection. Violence, altérité, contamination et univers mental traversent ce drame à costumes.  

Une histoire de la violence...

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La violence est un motif majeur chez Cronenberg, traversant toute sa filmographie, de Shivers à A Dangerous Method. Cette violence se présente sous des formes multiples. Elle est parfois dirigée vers les autres : les meurtres perpétrés par Tom Stall de A History of Violence, ou par Bill Lee dans Naked Lunch, tuant son épouse par accident. Elle peut également être autodestructrice. De nombreux films se concluent par le suicide du personnage central : Videodrome, Dead Ringers, M. Butterfly en constituent de bons exemples. Les actes sexuels sont eux-mêmes toujours teintés de violence. Les protagonistes de Crash s'excitent mutuellement par le biais des accidents de la route et de leurs conséquences. Cicatrices, plaies béantes et autres mutilations se voient érotisées. D'une manière générale, les relations sexuelles sont presque toujours perverses (sadisme, masochisme, incestes, échangisme, triolisme, pédophilie, etc.) chez le réalisateur. Enfin, la violence s'exprime par la maladie mentale chez des personnages emprisonnés par des hallucinations traumatisantes (Naked Lunch, The Fly) ou confrontés à la répétition en miroir (les frères jumeaux de Dead Ringers, le schizophrène de Spider qui mélange visages du passé et du présent). Visuellement, la violence contamine les images, explose le cadre. Blessées, déchirées et meurtries, les images sont traitées comme une seconde peau, un autre corps qui témoigne des outrances de la violence.

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La violence, quelle qu'elle soit, fonctionne comme une explosion, une délivrance presque, tant la tension s'avère trop forte, aussi bien pour le personnage que pour le spectateur. Ces deux mouvements reviennent sans cesse dans les films du réalisateur. L'étrangeté et l'horreur s'accumulent jusqu'à saturation : la transformation effrayante de Brundle en insecte géant (The Fly), le climat de menace et de vengeance dans Eastern Promises, les crimes étranges semblant provenir d'une mère dérangée dans The Brood, etc. Puis survient l'explosion irrésistible (voir la tête qui éclate par la force de la pensée d'un télépathe dans Scanner) qui délivre et révèle : la fin du monstre Brundle/Fly, réduit en morceaux organiques suite à un coup fusil, le suicide de Max Renn dans Vidéodrome, coïncidant avec l'explosion d'un poste de télé qui recrache des viscères, les mouvements chorégraphiques et meurtriers de Tom Stall, preuve de son passé trouble qui explose à jamais l'harmonie de sa famille, le déchaînement de Nikolaï pour venir à bout de ses agresseurs dans le sauna d'Eastern Promises, scellant son entrée à la tête de la mafia russe, etc. Le mouvement tension / explosion structure des séquences et des films entiers. 

Lettres gravées au couteau...

A Dangerous Method poursuit cette obsession de la violence chez le cinéaste. De prime abord, le film pourrait sembler léger : nous assistons à une « romance » en parallèle des relations tendues entre deux personnalités de la psychanalyse. Mais à l'instar de ses autres opus, Cronenberg truffe cette histoire de violence et reprend l'antagonisme tension / explosion. Tout comme Sabina Spielren griffe le visage de Carl Jung avec un couteau, le cinéaste marque le film de son empreinte (cela rappelle Roman Polanski  lacérant le nez de Jack Nicholson dans Chinatown). Excepté cette scène fulgurante, la violence ne sera pour ainsi dire jamais visible dans le film. Dans cette société européenne du début du vingtième siècle, les apparences priment et toute pulsion (sexuelle ou violente) se voit reléguée dans les arrière-cours du jeu social. Les robes des femmes symbolisent à merveille cette idée : cacher et surtout ne rien dévoiler aux yeux de tous... Les personnages, Carl Jung en particulier, semblent être dans la retenue permanente, en accord avec des normes sociales rigides et aliénantes. Les échanges, froids et calculés se veulent rationnels : les propos échangés entre Jung et son épouse en attestent.

Dans A Dangerous Method, la violence prend corps via l'intellect des personnages : Jung, Freud et Spielrein s'avèrent particulièrement instruits. Leur rapport de force va se traduire dans leurs joutes verbales, polies mais de plus en plus agressives et mesquines au fur et à mesure de leurs rencontres : l'un défendant sa place, l'autre la remettant en question. Dans cette optique, le langage devient une arme redoutable et chaque mot, un coup de poing donné à l'adversaire. Mais leurs attaques les plus virulentes se poursuivront par correspondance interposée. Chaque lettre équivaut à une attaque. Les génériques d'ouverture et de fin, constitués de très gros plans sur les mots encrés sur le papier, annoncent cette lutte acharnée. Les lettres isolées par le cadrage ressemblent à des blessures, des cicatrices griffées sur le papier, exactement comme le coup de couteau de Sabina blesse Jung au visage... C'est finalement là que se cache la violence, derrière les mots et la surface en papier. Cela fait écho aux faux rapports rédigés par Bill Lee dans Naked Lunch et les étranges griffonnages du schizophrène Spider, exprimant toute leur folie. Leur violence en somme.

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Les principes de tension et d'explosion sont également reconduits. Les relations entre les différents personnages sont sous tensions et explosent dans les échanges verbaux ou épistolaires mais la libération ne vient jamais, excepté la scène du coup de couteau, geste désespéré de Sabina et surtout le texte précédant le générique final, qui annonce une énorme explosion de violence : la première guerre mondiale.


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