L'autre, la contamination et la drogue...
A Dangerous Method reprend une autre thématique chère à David Cronenberg, l'altérité, ici incarnée par l'actrice Keira Knightley. Dès les premiers instants du film, lors de son internement en hôpital psychiatrique, le personnage de Sabina, grimaçant et hystérique, est présenté comme un « autre » en comparaison des autres personnages et surtout celui de Carl Jung. Dans une des premières séquences, Cronenberg la dispose à l'avant-plan, dans toute son étrangeté, tandis que l'arrière-plan est occupé par l'impassible Jung en pleine observation fascinée.

Sabina rejoint ainsi le bestiaire monstrueux du cinéaste, déjà composé de zombies (Rabid), de mouches (The Fly), de personnages hybrides (Naked Lunch) et autres malades mentaux (Spider). Tout en retenue, Jung est déjà attiré par sa patiente et sa sexualité masochiste (une constante pour les personnages féminins de Cronenberg). Il troque vite les habits de médecin et d'homme intègre pour celui de l'amant prenant part aux jeux sadomasochistes de Sabina. Il est contaminé par Sabina. Mais cette relation n'est qu'une aventure sans retour et aliénante pour le psychanalyste, partagé entre la culpabilité qu'il éprouve vis-à-vis de sa femme (pour qui les relations sexuelles n'ont pour objet que la progéniture qui en découlera) et le plaisir éprouvé en donnant libre cours à ses pulsions sexuelles. Les miroirs présents dans toutes les scènes de rapports sexuels entre Jung et Sabina renforcent le caractère schizophrénique de cette sexualité. Et Sabina devient aussi une drogue dont le psychanalyste ne pourra se passer que difficilement.

Si la contamination opère sur les comportements, elle fonctionne également au niveau des idées. Sabina et le personnage d'Otto Gloss vont influencer la pensée de Jung, l'encourageant à se détourner de son maître à penser, Sigmund Freud. On a ainsi affaire à un triangle (bien rendu sur l'affiche du film) : la femme (Sabina) qui se démarque par son altérité notamment dans ses comportements sexuels, suivis des deux savants, positionnés en vis-à-vis et tellement semblables : l'un pourrait être la version plus jeune de l'autre. L'influence de Sabina va servir de catalyseur au conflit (intellectuel) entre les deux hommes, ces deux « mêmes ». Une trop grande ressemblance est presque toujours synonyme de violence ou de folie chez le cinéaste : les jumeaux de Dead Ringers finissant par s'entre-tuer ou les fratricides d'A History of Violence et de Scanners. Dans ce cas-ci, le cinéaste place ironiquement deux personnages historiques, psychanalystes de surcroît !
Le monde est une clinique
Comme les autres films de Cronenberg, A dangerous method présente un univers mental lié à sa thématique et ses personnages. À la vision du film, on est frappé par sa photographie brillante et lumineuse éclairant à la fois les espaces clos (asile, bureaux de Freud, salles à manger, etc.) et les paysages extérieurs magnifiques. Cette lumière évoque le point de vue des personnages centraux du film, des psychanalystes et donc des scientifiques dont le regard est avant tout clinique. Tout ce qui les entoure passe par leur filtre d'observation et d'expérimentation. L'intimité n'existe plus. Tout est montré. Exhibé comme une pathologie en puissance. L'univers dépeint se veut également rigide, claustrophobe. Car les personnages sont prisonniers, enfermés en permanence, qu'ils soient dans un asile ou dans des paysages somptueux. Le monde n'est plus qu'une froide et gigantesque clinique dont on ne peut échapper. Les êtres sont voués à une désespérante solitude qu'on ne peut briser...
Sylvain Bayet
Janvier 2012

Sylvain Bayet est diplomé en Arts du spectacle à finalité didactique. Ses recherches ont particulièrement porté sur le cinéma de Cronenberg.
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