
Le Songe d'une nuit d'été, spectacle d'Isabelle Pousseur actuellement à l'affiche du Théâtre National, trouve en réalité sa genèse dans un projet plus personnel de l'artiste belge et témoigne de sa rencontre avec l'Afrique.
En marge de ses activités d'artiste associée au sein du Théâtre National, Isabelle Pousseur codirige le Théâtre Océan Nord avec Michel Boermans, partenaire de longue date. Implanté à Schaerbeek depuis 1996, ce théâtre entend se définir comme un espace d'apprentissage, d'épanouissement plutôt que comme un lieu qui ne se donnerait que pour seul objectif la production de spectacles. En développant ses activités autour de plusieurs axes majeurs qui définissent sa philosophie (tels que la création et l'accueil de spectacles, la mise en place d'ateliers destinés aux professionnels ou le travail réalisé avec le quartier de Schaerbeek), le Théâtre Océan Nord aspire à l'abolition du clivage entre les figures créatrices (auteur, metteur en scène, acteurs) et les spectateurs. La circulation entre ces différents protagonistes s'avère nécessaire. La question du théâtre en tant que lieu de transmission notion par ailleurs centrale dans le parcours d'Isabelle Pousseur comme peut en témoigner sa longue carrière de pédagogue1, semble s'ériger en ligne directrice de la petite structure théâtrale. Né à la suite d'une crise artistique que la metteure en scène traverse au début des années 90, Océan Nord apparaît comme un lieu propice à l'accession « à un âge adulte de la profession »2, au développement de projets plus personnels, plus engagés.
Il en est ainsi de Bintou (mis en scène par Rosa Gasquet), une coproduction entre plusieurs institutions3 présentée en 2003 au Théâtre Océan Nord. C'est ce projet, précisément, qui a permis la rencontre entre Isabelle Pousseur et le metteur en scène et acteur burkinabé Étienne Minoungou. Suite à cette collaboration, l'artiste africain qui est également directeur du festival ouagalais de théâtre « Récréâtrales », propose à Isabelle Pousseur d'animer un atelier à cette occasion.
Celle-ci se rend au Burkina Faso en août de la même année afin d'entamer un travail centré sur les scènes des artisans-comédiens4 du Songe d'une nuit d'été avec trente comédiens professionnels issus de différents pays d'Afrique francophone. Le projet ne sera finalement pas monté dans le cadre des Récréâtrales, mais cette rencontre avec l'Afrique a toutefois profondément marqué Isabelle Pousseur. En 2009, elle soumet son projet à Jean-Louis Colinet qui accepte sa proposition.
Comme souvent chez l'artiste, le projet du Songe trouve sa source dans le vécu plutôt que dans le conceptuel.
« Je suis très méfiante de tous les actes trop volontaires. Je crois être quelqu'un de très rationnel dans toute une série de moments de ma vie, donc, par rapport à la création, je ne veux pas que ce soit cette partie-là de moi qui agisse. Je veux vraiment que ça se passe autrement. Le choix des projets, j'essaye qu'il vienne du vécu et d'une partie de moi qui peut être enfouie. »5

L'aventure du Songe débute par un stage/audition à Ouagadougou. D'emblée, Isabelle Pousseur est marquée par le vent de fraîcheur que les acteurs burkinabé insufflent au texte de Shakespeare. Lorsque les répétitions débutent, il est primordial pour Isabelle Pousseur de se laisser guider par ses acteurs, de se laisser porter afin de se donner la possibilité de redécouvrir le classique shakespearien à la lueur de leur culture, de leur réalité. À travers cette pièce, Isabelle Pousseur ne prétend pas révéler ou même raconter l'Afrique dont elle n'a finalement qu'une maigre expérience. Simplement, les références et emprunts nourrissent le spectacle, guident la mise en scène. Certains aspects de l'éclairage, des costumes, et surtout la présence et le jeu des acteurs (il s'agit d'une distribution entièrement africaine) constituent autant d'évocations, de touches, d'empreintes africaines. Ces choix de mise en scène ont pour principal effet l'élaboration d'un spectacle construit selon la logique du rêve et donnent naissance à une sorte de mosaïque où différents éléments et univers se rencontrent, s'entremêlent et se succèdent. Cette dimension du passage et du croisement entre les mondes existait déjà dans le texte de Shakespeare. L'auteur réunit en effet amoureux, artisans, personnages mythologiques et féeriques au sein d'une forêt, lieu mythique par excellence. La pièce telle qu'elle fut écrite tout comme les choix de mise en scène font écho à ce qu'Isabelle Pousseur a pu vivre lors de sa rencontre avec l'Afrique : un sentiment de reconnaissance dans l'inconnu, comme dans un rêve.

« [...] j'aimerais que les spectateurs aient un peu le même sentiment : quelque chose d'anormal se passe et pourtant il y a du familier, un je ne sais quoi de reconnaissable. J'aimerais, à travers ces acteurs, grâce à eux, rendre à ce texte de Shakespeare ce mélange d'étrangeté et de « pas inconnu ». Comme dans les rêves. Ils nous font entrevoir qu'une autre réalité existe, fuyante, mystérieuse et pourtant bien présente en nous. Comme si l'on sentait confusément la présence en nous – et je le dis malgré le cliché – de l'Afrique, qui est le berceau du monde [...] »6
Lors de son travail avec les comédiens dans le cadre des Récréâtrales, la metteure en scène avait déjà été frappée de voir à quel point les acteurs africains et les artisans du Songe semblaient connectés par certains égards, au-delà de leurs différences évidentes. Elle perçoit en effet une certaine « porosité » – selon ses propres termes – entre le texte dramatique et la culture, la vie de son équipe de comédiens. Parmi ces concordances, Isabelle Pousseur pointe le sentiment et l'expression de la joie, le rapport au sacré et à la magie, l'amour du théâtre (vécu comme espace de « survie » et de « libération »7) mais surtout l'art de faire du neuf à partir de l'ancien. Isabelle Pousseur met très régulièrement en scène des textes du répertoire. Mais choisir de monter un texte de Shakespeare avec des comédiens africains est révélateur d'un besoin de travailler autrement, en mettant de la vie en lieu et place d'un savoir-faire. Tel est finalement l'enjeu de ce spectacle. À l'instar de ces artistes de la récup', qui animent des objets fatigués et usés d'une nouvelle vie, Isabelle Pousseur entend, grâce à son équipe de comédiens, faire redécouvrir ce texte de Shakespeare maintes fois monté et commenté.
Lison Jousten
Janvier 2012

Lison Jousten est étudiante en 2e année du Master en Arts du spectacle, finalité Spectacle & Images numériques.
Du 13 au 28 janvier au Théâtre national - Plus d'informations
Photos © Cici Olsson1 Dès 1981, soit deux ans seulement après l'obtention de son diplôme de l'Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et des techniques de diffusion (section mise en scène et technique de diffusion de la culture), Isabelle Pousseur enseigne au Conservatoire Royal de Liège ainsi qu'à l'INSAS, établissement où elle est toujours professeure actuellement. Si elle quitte le Conservatoire en 1986, elle continue toutefois à faire partie des Jurys.