Les Européens, tous immigrés (depuis 5000 av. JC)

Les archéologues ont remarqué que dans certains sites, l'extraction de silex avait dépassé largement les besoins de la communauté, afin de pouvoir exporter des produits semi-finis vers d'autres régions moins bien pourvues en matières premières. C'est par exemple le cas des Rubanés de Hesbaye, qui exportent vers le Hainaut. Les réseaux d'échanges commerciaux peuvent parfois s'étendre à plus de 200 km !

spondyle

Ils concernent aussi bien le silex que d'autres types de roches (amphibole, basalte, grès, schiste...) mais également les matières colorantes (hématite, avec laquelle on recouvre certains défunts), des objets de parure (par exemple le spondyle, un coquillage de la Méditerranée) ou la céramique, dont les décors varient selon les régions. Anne Hauzeur parle par exemple déjà d'un style « liégeois » pour les récipients décorés de rubans réalisés avec un peigne en os à quatre dents. À Vaux-et-Borset, de petits cordons de terre rapportés sur les pots sont peut-être la signature d'un potier.

Spondyle méditerranéen, identique à ceux qui furent importés jusque dans nos régions.

 

 

Une origine proche-orientale

On découvre donc au fil des pages de 5000 ans avant J.C., la grande migration de nombreux aspects de la culture rubanée. Mais l'étude de ces vestiges archéologiques permet également de proposer quelques hypothèses sur l'origine du peuplement en Europe à l'époque du Néolithique.

Les spécialistes s'accordent sur le fait que le mouvement néolithique prend naissance au Proche-Orient et en Anatolie. C'est dans le Croissant Fertile que l'agriculture et la domestication vont apparaître puis peu à peu se diffuser. Ici, deux théories s'affrontent : s'agit-il d'une migration massive d'agriculteurs vers l'Europe encore peuplée de chasseurs, suite à une brutale augementation démographique ? Ou bien d'un phénomène d'assimilation et d'acculturation (les groupes de chasseurs entrent en contact avec les groupes de fermiers et changent peu à peu de mode de vie) ? La réponse donnée par Marc Vander Linden (University of Leicester) dans l'ouvrage est sans doute la plus prudente et la plus nuancée : la situation réelle a dû se situer au confluent de ces deux théories, avec, selon les circonstances, une prévalence de l'une ou de l'autre.

Le mouvement néolithique quitte donc l'Asie pour arriver en Europe. En 3000 ans, ce nouveau mode de vie s'impose sur tout le continent européen. Cependant, la progression du phénomène n'a pas été continue : la néolithisation a avancé par « bonds » successifs, avec des périodes d'arrêt, qui ont permis l'introduction puis l'installation durable des nouvelles techniques.

Et qu'en est-il du Rubané ? D'après Janusz. Kozłowski (Jagiellonian University, Cracovie), l'origine de la culture n'est pas à chercher chez les derniers chasseurs européens (qui seraient progressivement devenus agriculteurs) mais plutôt dans la culture néolithique présente en Hongrie et en Basse-Autriche et qui tire son nom du site de Starčevo, en Serbie. C'est aussi dans ces régions que l'on trouve les sites rubanés les plus orientaux. De plus, il existe de nombreux points communs entre les céramiques et les statuettes de la culture de Starčevo récente et celles du Rubané ancien. En Hongrie et en Autriche, entre 5700 et 5400 avant notre ère, les deux traditions se « recouvrent ». Puis les Rubanés vont peu à peu s'étendre vers l'ouest et le nord et se démarquer de plus en plus de la culture de Starčevo. Au fur et à mesure de leur extension, ces sédentaires vont approcher les derniers chasseurs-cueilleurs, avec qui ils n'ont que peu de contacts. Une fois le Rhin franchi cependant, les rencontres entre Rubanés et chasseurs mésolithiques ont bel et bien lieu, des influences réciproques se marquent dans les deux cultures : les Rubanés imitent les pointes de flèches mésolithiques et certains groupes de chasseurs vont se mettre à fabriquer de la céramique.

Ainsi s'impose en Europe occidentale l'une des plus grandes traditions culturelles jamais connues. Originaire d'Europe de l'Est (et même, si l'on remonte encore plus loin dans le temps, du Proche-Orient), la culture rubanée va persister pendant trois à quatre siècles avant de se déliter progressivement, entre 5100 et 4850 avant J.C. Les clivages sociaux semblent s'accentuer et un climat de violence sociale (massacres, sacrifices humains) s'installe. En réponse, les caractères régionalistes s'affirment : l'uniformité si caractéristique de la céramique rubanée laisse place à des styles bien distincts les uns des autres. Enfin, après cette période de troubles, l'Europe revient dans une phase d'apaisement, durant laquelle de nouvelles traditions s'imposeront.

L'épopée du Rubané décrite de manière extrêmement complète dans 5000 ans avant J.C. s'achève sur un bel épilogue de Marcel Otte, Professeur de Préhistoire à l'ULg, qui offre une réflexion sur le sens porté par les objets archéologiques et les émotions qu'ils peuvent susciter tant chez le spécialiste qui l'exhume de la terre que chez le visiteur d'un musée qui le découvre au détour d'une vitrine.

Enfin, une dernière partie de l'ouvrage est consacrée à la partie néolithique de la collection Louis Éloy, amateur éclairé qui rassembla plusieurs milliers d'objets préhistoriques au cours de ses fouilles et prospections de surface en Hesbaye liégeoise, réalisées dès 1934 et jusque dans les années 80.

Le lecteur averti trouvera donc dans 5000 ans avant J.C., la grande migration ? un ouvrage de référence sur ce moment-charnière que fut l'arrivée des Rubanés en Europe occidentale. Un des intérêts principaux de ce livre, outre son exhaustivité, est d'avoir pu rassembler les différents points de vue de spécialistes issus de Belgique, de France, d'Angleterre, d'Allemagne ou même de Pologne. On pourra ainsi apprécier de lire les arguments des uns et des autres sur des thèmes faisant polémique. Une belle réussite pour cet ouvrage, troisième opus des Collections du Patrimoine Culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui nous fait prendre conscience de la complexité et de la richesse culturelle du peuplement européen dès les périodes les plus anciennes.

Élise Delaunois
Décembre 2011

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Diplômée en Histoire de l'Art et Archéologie à l'ULg, Élise Delaunois est spécialisée en archéologie préhistorique et consacre ses recherches au Paléolithique moyen.

 


 

L'ouvrage
HAUZEUR, A., JADIN, I. et JUNGELS, C. « 5000 ans avant J.-C., la grande migration ? », collections du Patrimoine Culturel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 240 p., 24€. ISBN / 978-2-930624-02-0
En vente au Préhistosite de Ramioul (www.ramioul.org).

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