À l'heure où les débats sur les identités nationales se multiplient et où les politiques d'immigration se durcissent peu à peu, l'ouvrage «5000 ans avant J.-C., la grande migration ?» jette un pavé dans la mare en remettant les Européens face à leurs propres origines étrangères. À la base de la nouvelle exposition du Préhistosite de Ramioul, ce livre fait la somme de plusieurs décennies d'études sur une période clé de la préhistoire européenne : l'arrivée et l'installation des premiers agriculteurs au Néolithique ancien en Europe occidentale.
Plus de trente auteurs, belges et étrangers, ont collaboré à l'écriture de 5000 ans avant J.-C., la grande migration ? sous la direction de Anne Hauzeur, Ivan Jadin et Cécile Jungels, tous trois préhistoriens et diplômés de l'Université de Liège. Le livre s'ouvre sur la présentation d'un phénomène fondamental : le passage de l'économie de prédation à l'économie de production en Europe, aussi appelé la néolithisation. Ce mouvement suscite nombre de questions : à quoi est due la diffusion si rapide de ce nouveau mode de vie ? S'agit-il d'une migration massive ou des mélanges successifs de différentes cultures ? Où trouver l'origine du phénomène ?
Le regard se tourne d'abord vers nos propres régions. Le Limbourg, la Hesbaye vont être rapidement colonisés par un groupe culturel présent également en Allemagne et appartenant au courant « danubien » de la néolithisation (par opposition au courant méditerranéen qui peuplera le sud de l'Europe). Il s'agit de la culture rubanée, qui tire son nom de l'allemand « Linearbandkeramik », signifiant littéralement « céramique linéaire à rubans ». C'est en effet ce décor si particulier, qui forme des lignes ondoyant sur le pourtour des récipients, qui a suscité l'appellation. En Belgique, le nom d' « Omalien » lui sera longtemps apposé, ainsi qu'un certain nombre de clichés, tel celui des familles de fermiers vivant dans des cabanes à demi-enterrées et jonchées de déchets, qui mettront longtemps à disparaître.
Le cœur de l'ouvrage est donc consacré aux vestiges et autres traces laissées par les premiers agriculteurs d'Europe, avec de réguliers focus sur les Rubanés de Belgique. C'est sur leur environnement quotidien que s'ouvre cette centaine de pages extrêmement denses en informations.
Des villages organisés
Plus de 2000 plans d'habitats rubanés sont connus en Europe et tous partagent des caractéristiques communes, même si quelques variations dues aux styles régionaux et aux fonctions des maisons existent. Les maisons rubanées, de forme quadrangulaire, sont regroupées en villages qui peuvent être occupés pendant plusieurs centaines d'années. L'installation d'un nouveau village a toujours débuté par un défrichage important de la forêt qui recouvrait alors l'Europe. Les maisons sont divisées en trois « pièces ». La partie avant, transition entre le monde extérieur et intérieur, était probablement destinée à afficher le prestige et l'identité du propriétaire. Le centre de la maison était le lieu des activités quotidiennes et de réception des visiteurs tandis que la partie arrière était accessible aux habitants seuls. Les façades sont orientées vers les régions du Danube, d'où, on le verra plus tard, la culture rubanée semble originaire.
Les villages peuvent être entourés d'enceintes qui, semble-t-il, n'avaient pas un caractère véritablement défensif. En effet, ces enceintes sont souvent constituées de fosses juxtaposées creusées sur quatre ou cinq générations : l'enceinte n'était donc pas continue dès le début de la construction. Le creusement des fosses correspondrait selon certains spécialistes à un rituel de fondation, régulièrement répété afin de marquer la persistance de l'habitat.
du village de Darion, en Hesbaye. ©MPW/Préhistosite de Ramioul.
Les cimetières rubanés présentent eux aussi des caractéristiques étonnament constantes tout au long de la période. Les morts sont enterrés sur le côté gauche, les genoux repliés et la tête regardant à l'est, à nouveau vers le lieu d'origine de la culture. Ils sont souvent accompagnés d'objets (lames en silex, poteries, colliers...) qui varient selon le sexe de l'individu. Bien que rares en Belgique à cause de l'acidité des sols qui a rongé les ossements, quelques tombes ont été retrouvées sur les sites de Darion et de Hollogne-aux-Pierres, en Hesbaye.
Un commerce vieux de 7000 ans et des potiers liégeois...
Les Rubanés ont également choisi l'emplacement de leurs villages en fonction des sources de silex : ils se sont de préférence installés à proximité des gisements afin d'avoir à leur disposition de quoi fabriquer leurs outils. La taille de silex est elle aussi remarquable pour son homogénéité. Les blocs de silex sont presque toujours débités de la même façon, afin de produire des lames « standard » de 8 à 12 cm de long, qui seront ensuite transformées en outils : couteaux, perçoirs, grattoirs pour nettoyer les peaux, lames de faucilles et les étranges silex en forme de « frites » et de « quartiers d'orange », qui ont pu servir au travail du cuir et du lin.
Lame de faucille, grattoir et perçoir en silex rubanés. © MPW / Préhistosite de Ramioul.