La dimension épistolaire chez Georges Simenon

Un nouveau et magnifique Musée des Lettres et Manuscrits vient d'ouvrir en plein cœur de Bruxelles. Structurées en cinq départements – Littérature, Arts, Histoire, Musique, Sciences –, ses collections permanentes présentent des dizaines de pièces de grand intérêt, dont certaines très anciennes. Sa première exposition temporaire est consacrée à Georges Simenon dont sont exposés de nombreux manuscrits et lettres. L'occasion de faire le point sur la dimension épistolaire du romancier liégeois.

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Si vous passez par Bruxelles, n'hésitez pas à visiter le Musée des Lettres et Manuscrits ouvert en juin dernier. Ce petit frère de son homologue parisien, situé au milieu des Galeries royales, à deux pas de la Grand Place, regorge en effet de merveilles. Au premier étage, sont exposés des dizaines de lettres, manuscrits, autographes ou dessins particulièrement intéressants. Figurent côte à côte les plus grands noms français, belges ou autres de la littérature – Voltaire, Montagne, Casanova, Zola, Tourgueniev, Balzac, Pagnol, Vian, Beckett, Céline, Proust –, avec quelques éditions originales (Une saison en enfer, L'Après-midi d'un faune), de la peinture – Géricault, Renoir, Picasso, Gauguin, Courbet, Monet, Ensor –, de la musique – Beethoven, Mozart, Verdi, Debussy – et des sciences – Édison, Solvay, Freud, Nadar. L'Histoire est également bien présente, depuis une pièce autographe datant de la Guerre de Cent Ans jusqu'à une lettre de Léopold III, en passant par Charles Quint, Danton, Pétain, Churchill ou Mata Hari. Des tables sont spécialement dédiées à certains artistes, mouvements ou périodes belges : Brel, Hergé, Hugo Claus, Magritte, Ensor, le mouvement Cobra, le surréalisme en Belgique ou la Belgique terre d'accueil.

Et Simenon ? Il occupe tout le rez-de-chaussée. L'exposition temporaire qui lui est consacrée est divisée en huit parties davantage thématiques que chronologiques : sa jeunesse liégeoise jusqu'à son départ pour Paris, ses liens avec Liège, sa relation avec sa première femme, Régine Renchon, dite Tigy, Maigret, l'après-guerre, l'écriture, l'Amérique et sa seconde épouse, Denyse Ouimet, et enfin son retour en Europe. Pour chacune d'elles, sont exposés des photos, manuscrits, éditions originales et autres documents de travail. Tels les calendriers muraux (ceux de la Pan American World Airways), où il consignait l'évolution de la rédaction de ses livres, ou les fameuses enveloppes jaunes – pour La Mort de Belle, Le Nègre ou Maigret s'amuse, par exemple.

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Sont également visibles plusieurs lettres adressées par Simenon, à son beau-frère Yvan Renchon pendant la guerre, à Victor Moermans, donc nous pouvons en outre lire le discours prononcé lors de la réception officielle de son ami à Liège en 1952, et à quelques autres. « On ne peut pas le qualifier d'"écrivain-épistolier", au sens où il aurait entretenu des correspondances nombreuses et suivies avec beaucoup de ses contemporains, commente Benoît Denis, directeur du Fonds Simenon et coauteur des trois volume de la Pléiade Simenon : on connaît ses échanges avec sa femme Tigy quand il était tout jeune, avec Gide (que j'ai édités), avec Fellini et, plus confidentiels, avec le journaliste liégeois Victor Moermans ou avec le professeur Piron de l'ULg. Pour le reste, le Fonds conserve des lettres assez dispersées. Par contre, sa correspondance avec ses éditeurs est très importante et très riche, et n'a pas encore été dépouillée complètement : elle est essentiellement d'affaire et technique, avec cependant souvent des passages très intéressants sur la manière dont il concevait son travail, la gestion de son œuvre, ses rapports avec ses éditeurs. Mais ceci reste très particulier, et assez éloigné de ce que l'on a coutume d'appeler des correspondances littéraires. »

« L'une de ses correspondances vraiment intéressante est celle avec André Gide, complète Laurent Demoulin, conservateur du Fonds Simenon à l'ULg et éditeur de la correspondance de l'auteur de Pedigree avec le professeur Piron. Simenon parle de son travail à son aîné qui joue un peu le rôle de mentor et occupe ainsi une place importante dans sa formation. Selon Simenon, mais ce n'est pas totalement attesté, on n'en a aucune preuve, ce serait sur ses conseils qu'il est passé de la première personne de Je me souviens à la troisième de Pedigree, passant d'une vraie autobiographie à un roman autobiographique. Gide lui aurait dit : « Écrivez vos souvenirs comme un roman. » Il est certain, par contre, que Gide lui a confié ne pas beaucoup aimer Je me souviens. Une autre correspondance très célèbre, mais plus tardive, et également publiée, est celle avec Fellini. Le cinéaste italien est plus jeune et s'adresse à celui qu'il considère comme un maître. Simenon était d'ailleurs président du jury à Cannes lorsque la Dolce Vita a reçu la Palme d'Or en 1960. »

« Sa relation épistolaire avec le professeur Piron, à la fin de sa vie, est importante car c'est grâce à elle que le Fonds Simenon se trouve aujourd'hui à l'université. Le point de départ est la volonté de Maurice Piron de fêter les 70 ans de Simenon en adaptant absolument tous ses cours et ceux de ses assistants à son œuvre : celui de sociologie de la littérature étudie le succès de Maigret, celui de littérature belge, l'ensemble de son œuvre, celui de paralittérature, Maigret, etc. Et le professeur de lui écrire pour l'en informer. Il va s'en suivre une correspondance qui va se transformer en véritable amitié. À la fin de sa vie, après le suicide de Marie-Jo, Simenon continuera à le voir épisodiquement. Et il va finalement léguer ses archives à l'ULg alors qu'il pensait plutôt les disperser entre la Suisse, les États-Unis et la Belgique. »

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« Au Fonds, nous avons également ses correspondances – non éditées – avec d'autres personnalités : Marcel Pagnol, le peintre Maurice de Vlaminck, Jean Renoir, Cocteau, Henri Miller, Chaplin, etc. Et aussi les échanges épistolaires qu'il a entretenus avec ses lecteurs, ce qui semblait important pour lui. Les gens se reconnaissant dans ses romans, lui racontent leur vie, se confient ou lui demandent de l'aide, de l'argent. Et il se montre assez généreux. Nous possédons à la fois les lettres qu'il a reçues et la copie de celles qu'il a lui-même envoyées. Pour Mémoires intimes, par exemple, il a reçu énormément de courrier. Dans ses entretiens, il dit que c'est par les lettres de lecteurs qui se sont reconnus dans son personnage et qui lui racontent leur vie qu'il sait qu'un roman est réussi. Il se dit que là, il a été utile, il sert à quelque chose. »

Dans son œuvre même, la correspondance n'occupe pas une place prépondérante même si elle est présente dans l'un ou l'autre ouvrage. « Simenon n'a pas écrit de roman épistolaire, commente encore Laurent Demoulin. Dans certains livres, des lettres peuvent être importantes : dans Une erreur de Maigret, celles d'une femme follement amoureuse d'un personnage joue un grand rôle dans l'intrigue. Ou dans Le Président, dans Quartier nègre. Mais cet aspect reste minoritaire. »

Les éditions Racine publient un luxueux ouvrage sur le musée reprenant la majorité des documents exposés ainsi que le catalogue de l'exposition Simenon avec des textes de Jean-Christophe Hubert, Laurent Demoulin, Stéphanie Becco, Michel Lemoine, Danielle Bajomée, Adrien Roselaer et Pascal Fulacher.

Michel Paquot
Janvier 2012

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Michel Paquot est journaliste indépendant.

 

Culture a consacré un dossier à Simenon dans lequel Danielle Bajomée étudie tout particulièrement sa correspondance avec Tigy.


 

Musée des Lettres et Manuscrits, Galerie du Roi, 3 à 1000 Bruxelles. Tel.; 00 32 2 346 52 06 Site: http://www.mlmb.be. Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 10h. Le samedi jusqu'à 20h. Le jeudi jusqu'à 21h30.
Exposition Georges Simenon, parcours d'un écrivain belge. Jusqu'au 24 février 2012.