Le siècle de Gallimard

L'année 2011 a marqué le centenaire de la maison d'édition française dont le nom est synonyme de prestige et de qualité. Quelques belles publications sont venues fêter l'événement. Bref rappel historique.

C'est le 31 mai 1911 qu'est signée une convention d'association constituant l'acte de naissance des Éditions de la Nouvelle Revue française. Les signataires sont deux des fondateurs de la revue elle-même, née un peu plus de deux ans plus tôt, et un nouveau venu, Gaston Gallimard, fervent gidien à qui est confié le « comptoir d'édition ». « Cette création, explique Albin Cerisier, auteur d'Une histoire de la NRF (Gallimard, 2009), répond à la crainte chez les animateurs de la revue, et chez Gide principalement, de voir Claudel confier ses œuvres ailleurs. Même s'il est encore un auteur confidentiel, Claudel est néanmoins très convoité. Mais la NRF, contrairement au Mercure de France par exemple, ne possède pas de relais éditorial. Il est donc urgent de créer un comptoir d'édition afin d'éviter que lui échappe une publication de son œuvre en volume. On voit très bien, dans leur correspondance, que cette nécessité est née de leur discussion. Gaston Gallimard va apporter immédiatement de l'argent et progressivement marginaliser les fondateurs. Jusqu'à finir par prendre le pouvoir. »

C'est en 1919 que, sur la couverture des livres, à côté de l'indication « Éditions de la Nouvelle Revue française », apparaît la mention « Libraire Gallimard ». Deux ans auparavant, l'éditeur avait déjà osé mettre sur la couverture d'un livre « Éditions Gaston Gallimard ». « Gallimard va donner une extraordinaire ampleur à la maison, poursuit Cerisier. Il va la professionnaliser, la doter d'un directeur commercial, acheter une librairie. Au début des années 1920, il ébauche un comité de lecture, très proche de celui de la revue. On assiste à une progressive autonomisation de la maison d‘édition par rapport à la revue. »

Ce nouvel éditeur attire les grands noms de l'époque, Valéry, Martin du Gard, Saint-John Perse, Mallarmé, Giraudoux, mais aussi Larbaud, Romains, Duhamel – mais ni Proust, qu'il rattrapera après-guerre avec À l'ombre des jeunes filles en fleurs qui remportera le Prix Goncourt en 1919, ni Mauriac, qu'il n'aura jamais à son catalogue. Douze titres paraissent la première année, vingt en 1912. Pourtant, pendant douze ans, l'éditeur ne fait pas de bénéfices.

Les surréalistes se retrouvent aussi très vite dans cette maison. « En 1919, ils créent leur première revue, Littérature, raconte Jean-Pierre Bertrand, professeur de la littérature des 19e et 20e siècles à l'ULg. Et très rapidement, ses auteurs, Breton, Aragon, Eluard, publient chez Gallimard. Au fil du siècle, la maison a toujours réussi à intégrer des courants hétérogènes tout en restant fidèle aux fondateurs et à leur esprit éclectique. Elle va se distinguer par une ouverture à la nouveauté et un respect pour la tradition, relayant ainsi la revue au sein de laquelle se sont créés des courants esthétiques. »

Rapidement, Gallimard s'est intéressé à la littérature étrangère, américaine notamment (Dos Passos, Hemingway, Faulkner, Hammett, Chandler, etc.). Et au fil du siècle, il ne va cesser de s'ouvrir à tous les champs littéraires : l'essai, le policier (avec la Série Noire créée après-guerre par Marcel Duhamel), l'aventure, la poésie, le théâtre, la critique, les arts, le poche (avec Folio au début des années 1970). Sans oublier, bien sûr, la Bibliothèque de la Pléiade, fondée par Jacques Schiffrin, les sciences humaines ou l'histoire.

L'époque cruciale, pour la maison d ‘édition, est l'Occupation nazie. Tandis que la revue paraît sous la direction de Drieu la Rochelle jusqu'en 1943, la maison d'édition poursuit son office comme la majorité de ses consœurs. Le lien entre les deux lieux s'appelle Jean Paulhan. « La difficulté par rapport à cette histoire surgit dans l'immédiat après-guerre, précise Albin Cerisier. La question concerne le lien entre les éditions Gallimard et la NRF. Était-il distinct et imperméable ou était-ce la même chose ? En 1945, on a conclu à la séparation. Quand on regarde les faits, ce n'est pas du tout le cas : ce sont les mêmes auteurs, les bureaux de Paulhan et de Drieu sont mitoyens, ils lisent les mêmes manuscrits, etc. Même si Paulhan participe à des publications clandestines. Mais si Gaston Gallimard n'avait pas tenu, sa maison serait passée sous capitaux allemands. La continuité de l'entreprise était en grand danger. Il n'a jamais publié de livres pronazis et a continué à publier Sartre, Camus, Queneau, Aragon, Saint-Exupéry. »

Aujourd'hui, la maison est dirigée par le petit-fils de Gaston, Antoine, qui a succédé à son père Claude, et possède comme filiales le Mercure de France, Denoël, P.O.L. ou Futuropolis. Avec près de 250 millions de chiffre d'affaires, elle est le principal éditeur français de littérature générale et le premier des indépendants. Et possède le fonds le plus prestigieux de tous les éditeurs français qu'elle n'a jamais cessé de mettre en valeur à travers ses multiples collections. Ainsi que par le biais du numérique. « Il va nous permettre la mise à disposition rapide d'une offre élargie,  notamment en l'enrichissant avec des nouveaux contenus multimédias, commente son patron actuel. Nous avons nous-mêmes numérisé 20 000 ouvrages de notre catalogue. »

Publications commémoratives

gallimard portraits

 

Portraits pour un  siècle

Cent écrivains français et étrangers sont réunis dans cet album par le biais de photos issues des collections de l'agence Roger-Violet. Face à leur portrait, figure à chaque fois un extrait de l'une de leurs œuvres, un texte romanesque ou autobiographique, une lettre ou un bout d'entretien. Certains d'entre eux apparaissent jeunes, tels Modiano, Guibert, Le Clézio, Morand ou Peter Handke. D'autres sont montrés en situation : Saint-Exupéry aux commandes d'un avion, Raymond Queneau sur la plate-forme d'un tram en compagnie des Frères Jacques, Jean Paulhan au téléphone devant son bureau encombré de livres, Nizan signant ses services de presse, Gide dans son célèbre appartement de la rue Vaneau ou Colette à la fenêtre de son appartement du Palais Royal. Quant à Simenon, c'est la célèbre photo où on le voit travailler tandis que son fils joue à ses côtés qui le représente.

224 p., 35 €

 

 

Gallimard histoire

Gallimard, un siècle d'édition

Pour tout savoir sur la prestigieuse maison d'édition, cet ouvrage qui a accompagné l'exposition présentée à la Bibliothèque François Mitterrand au printemps dernier, revêt une valeur inestimable. Il nous plonge dans une histoire passionnante, celle des lettres françaises profondément marquée  par la Deuxième Guerre mondiale. L'iconographie est grandiose avec notamment des photos d'époque et un grand nombre de couvertures de livres. La dimension internationale de la maison est relatée, de même que sa vie interne, les influences des uns et des autres ou ses expériences dans le milieu de la presse. Une soixantaine de lettres, cartes postales ou fiches de lectures signées Modiano, Gary, Camus ou Cocteau sont également reproduites en fac-similé.

392 p., 49 €

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